Dana Burlac a fait ses armes chez Flammarion, où elle a passé six années en littérature étrangère. Ensuite éditrice chez Denoël, elle a publié de la fiction étrangère pendant six ans avant de rejoindre les éditions de L’Observatoire où, directrice littéraire, elle est en charge de la fiction française et étrangère.
Comment êtes-vous entrée dans le monde de l’édition?
Un peu par hasard… J’ai beaucoup vécu à l’étranger : née en Israël d’un père uruguayen, j’ai passé une grande partie de mon enfance et de mon adolescence en expatriation (États-Unis, Brésil…) puis ai fait des études à l’étranger pour enfin revenir en France et me demander ce que j’allais faire de ma vie, avec un diplôme de littérature anglo-saxonne et un autre d’interprète de conférence multilingue. C’est donc sans autre idée en tête que j’ai postulé à un stage chez Flammarion, en littérature étrangère. Et là… je dois dire que je me suis sentie à ma place. J’ai tout de suite aimé l’ambiance, le travail, le contact avec les traducteurs… J’y ai passé six ans, comme assistante d’édition, puis je suis partie chez Denoël où j’étais éditrice (en étranger, en français, en fiction et en non-fiction, six années passionnantes qui m’ont permis de découvrir les nombreuses facettes du métier, de l’acquisition des textes à la partie plus commerciale, en passant par la communication sur les réseaux sociaux). Je suis désormais directrice littéraire aux éditions de L’Observatoire. Mon travail : dénicher des auteurs étrangers et français, publier peu, mais bien, élaborer une ligne éditoriale cohérente et riche. Vaste et passionnant programme !
Comment découvre-t-on un auteur étranger ? Quelle est la motivation qui pousse un éditeur à faire traduire un livre ? Quelle est la part de hasard ? Quel parcours doit suivre un ouvrage pour pouvoir être traduit ?
Il y a tout plein de manières. Je publie désormais des auteurs français et étrangers et je trouve très intéressant de faire les deux, car chercher de nouveaux auteurs étrangers est un processus tout à fait différent du français… Les auteurs étrangers sont la plupart du temps représentés par des agents ou par les cessionnaires de droit de leur maison d’édition. Je fais donc attention aux propositions de ces agents, au fait que l’histoire du livre semble correspondre à mes goûts, à la ligne que je développe, je lis le manuscrit… Mais je fais aussi très attention à la presse étrangère, que je lis pour voir si je peux détecter des auteurs ou des maisons d’éditions intéressantes. Enfin, et c’est primordial, j’écoute particulièrement les recommandations des traducteurs… Ce sont eux qui, très souvent, m’indiquent des auteurs non traduits en français et il m’est arrivé bien des fois de publier un roman grâce à eux. Comme par exemple la traductrice Séverine Rosset qui m’a écrit un jour pour me dire que le roman culte argentin, Los Pichiciegos, n’était pas traduit en français, et c’est grâce à elle que j’ai eu la chance de publier ce court roman sur la guerre des Malouines.
Mais il est agréable parfois de laisser jouer le hasard, et je peux plus me permettre de chercher des auteurs en flânant sur Internet, comme récemment, lorsque j’ai découvert une très chouette petite maison espagnole et que, là aussi, grâce aux conseils avisés d’une traductrice en or, Margot Nguyen Béraud, j’ai pu me mettre en contact avec les éditeurs, qui m’ont redirigée vers les agents représentant leurs titres, et je n’en dirai pas plus car l’offre est encore en cours !
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à la littérature en espagnol ?
C’est lié à mon histoire, avec un père uruguayen, des vacances tous les ans dans la petite maison d’Atlantida, difficile de faire autrement. Le fait de parler l’espagnol depuis ma plus tendre d’enfance et d’avoir grandi en changeant de pays tous les quatre ans, les joies de l’expatriation, font que j’ai eu la chance de lire et de parler plusieurs langues… et puis il y a mon adoration (partagée par des millions d’êtres humains) pour Borges !
Quel est de votre point de vue l’intérêt des lecteurs français pour la littérature et la culture espagnoles ? La demande a-t-elle tendance à progresser ? Est-il difficile de publier de la littérature hispanophone en France aujourd’hui ?
Indéniablement, l’édition française (et mondiale…) est traversée par une crise qui décourage les éditeurs d’acheter de la littérature étrangère car « ça coûte plus cher », pour davantage se concentrer sur le français… Pourtant, je suis convaincue qu’il y a un attachement des Français, voire un appétit féroce, pour la littérature étrangère, pour l’évasion et le dépaysement littéraire. Je ne sais pas si la demande de littérature hispanophone est en progression, mais je pense – aussi bateau que ce soit – que les lecteurs ont simplement envie de lire de bons textes et une littérature parfois moins autocentrée que la fiction française, qui peut avoir tendance à être nombriliste (là aussi, je généralise !)…
Le risque, c’est de ne vouloir publier que des valeurs sûres, des noms, des romans commerciaux, et ne pas oser publier un superbe roman exigeant de 780 pages… et pourtant, quand on voit le succès d’Ordesa, qui a reçu le Prix Femina étranger l’année dernière, on se dit qu’il ne faut pas perdre espoir, et je vois tous les jours de magnifiques textes hispanophones publiés, le dernier en date étant l’époustouflant Une République lumineuse d’Andrés Barba… une merveille !
Quel pourcentage de publications chez L'Observatoire correspond à des livres traduits ? Et celui des œuvres en espagnol ?
Je suis également en charge du domaine français (60 % des publications), je publie en moyenne trois titres étrangers par an, et je me rends compte que, pour le moment, les œuvres hispanophones occupent quasiment la moitié de la production. Sûrement parce qu’il est plus pratique, si je puis dire, de publier des langues que l’on comprend !
Quelles actions pourraient favoriser la traduction de l’espagnol?
Ce que vous faites à New Spanish Books est très précieux, beaucoup de rapports de lectures que vous mettez en ligne permettent d’attirer notre attention sur des romans non encore traduits.
En fait, je trouve le monde hispanophone très actif dans la promotion de sa littérature. Je dois dire que je reçois plus de textes d’Amérique du Sud que d’Espagne… Peut-être le fait d’avoir des co-agents français permettrait-il aux agences espagnoles de cibler avec plus de précisions les goûts et lignes éditoriales des éditeurs français ? Peut-être que plus d’extraits en anglais, pour ceux qui ne maîtrisent pas l’espagnol, pourraient aider ? Mais je trouve malgré tout la communication fluide et ouverte entre l’Espagne et la France.
Et pour finir, conseil futile mais je n’ai pas honte de le dire, les réseaux sociaux sont une mine d’informations, et suivre des auteurs, maisons, agents, libraires et blogueurs étrangers sur Instagram et Facebook permet de trouver de temps à autre de nouvelles voix.
Parlez-nous des auteurs (en espagnol) que vous avez édités. Quels sont les derniers auteurs que vous avez fait découvrir aux lecteurs français?
Je me souviens de l’un de mes premiers coups de cœur éditoriaux, lorsque j’étais chez Flammarion. Il s’agit d’un roman de Patricio Pron, El espíritu de mis padres sigue subiendo en la lluvia, intitulé L’esprit de mes pères en français, qui disséquait un fait divers à la manière d’un Truman Capote sud-américain. Mais j’ai un autre souvenir, un roman que nous n’avions pas publié à l’époque, Le Voyageur du siècle, (je crois que c’était chez Fayard)… la flamboyance de cette épopée m’avait scotchée sur place ! Et également publié par Fayard (car perdu aux enchères, c’est le jeu), l’un de mes plus immenses coup de cœur : Le Sauvage, de Guillermo Arriaga… Un bijou, tout simplement, ainsi que tous les romans du Mexicain Yuri Herrera, publiés chez Gallimard. Bon, revenons à ceux que j’ai publiés : chez Denoël, j’ai eu la chance de découvrir l’univers punk et barré de Laura Fernández en publiant sa Chica zombie. Puis un roman de l’espagnol Iván Repila, Le Puits qui reste, je dois le dire, l’un de mes plus gros chocs littéraires… Ce court roman, cette fable si profonde qui parle de deux frères perdus au fond d’un trou, en plein forêt, m’a hantée pendant des mois… Et le roman follement intelligent empreint de réalisme magique de l’Argentin Iosi Havilio, Petite Fleur. Et puis, j’en parlais précédemment, ce texte culte de Fogwill, Sous Terre, sur le traumatisme de la guerre des Malouines. Il y avait aussi eu Cabaret Biarritz de José C. Vales, brillant exercice de style sur fond d’enquête littéraire, et enfin ce roman noir, social, puissant, de la Colombienne Melba Escobar, Le Salon de Beauté.
De nouveaux projets ?
Depuis que je suis arrivée à L’Observatoire, j’ai publié un auteur péruvien, Gustavo Rodríguez (Madrugada, en français, Les Matins de Lima), roman musical et néanmoins d’un réalisme acéré sur le Pérou d’aujourd’hui à travers le parcours d’une jeune fille à la recherche de son père. Je m’apprête à publier en septembre prochain un roman argentin qui m’a profondément marquée, Mangeterre, de Dolores Reyes (Cometierra en VO). On reste en Argentine avec un roman d’Ariel Magnus, en cours de traduction, El Desafortunado, qui sera publié à L’Observatoire en septembre 2021. Et je continue bien sûr ma quête de textes en espagnol, dans le monde entier, et je suis enchantée de lire des textes d’une richesse incroyable… Je dois dire que j’aimerais beaucoup publier un roman uruguayen, mais je n’ai pas encore trouvé chaussure à mon pied.
Et pour conclure… votre mot préféré en espagnol?
Alfajores, ce petit gâteau fourré au dulce de leche… J’adore !!
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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