INTERVIEWS ANTÉRIEURES
Jean CANAVAGGIO, ancien directeur de la Casa de Velázquez, est professeur émérite de l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Auteur d’une biographie de Cervantès (2e éd. Fayard, 1997), traduite en six langues, il a coordonné une Histoire de la Littérature espagnole (Fayard, 1993-94) et dirigé une nouvelle traduction des oeuvres de Cervantès, en 2 volumes, parue en 2001 dans la Pléiade. Il a publié également chez Fayard, en 2005, un essai intitulé Don Quichotte, du livre au mythe : quatre siécles d’errance. Il coordonne actuellement une nouvelle traduction d’un choix d’oeuvres de Thérèse d’Avila et de Jean de la Croix, à paraître dans la Pléiade.
- Comment décide-t-on de traduire une œuvre de la dimension de Don Quichotte?
C’est une décision dont les raisons varient en fonction de plusieurs paramètres: non seulement l’importance de l’oeuvre, mais aussi le nombre et les caractéristiques des traductions déjà existantes. De ce double point de vue, Don Quichotte constitue un cas très particulier, car il s’agit, au sein des lettres espagnoles, d’une des rares oeuvres universellement connues et, qui plus est, traduites dès l’époque de leur publication.
- Comment cette idée se matérialise-t-elle dans un projet d’édition?
En ce qui me concerne, j’ai d’abord proposé à Gallimard de publier l’ensemble des oeuvres en prose de Cervantès dans la Pléiade où, jusqu’alors, ne figuraient que Don Quichotte et les Nouvelles exemplaires. Puis je me suis aperçu qu’à partir du moment où l’on entreprenait une nouvelle traduction de La Galatée et du Persiles, il fallait procéder de la même façon avec les textes déjà publiés. Jean Cassou avait choisi, il y a près de quatre-vingts ans, de reprendre, en les corrigeant ici et là, les premières traductions du XVIIe siècle. Il fallait donc retraduire aussi ces textes, en repartant des originaux.
- Quelles sont les difficultés rencontrées par ce type de traductions?
Celles qu’éprouvent nos contemporains lorsqu’ils cherchent à entrer de plain-pied dans le texte de Don Quichotte, sans se laisser rebuter par des procédés d’écriture auxquels ils ne sont plus habitués. Compte tenu de cet obstacle, le parti que nous avons pris pour la Pléiade a été double : d’une part, respecter la spécificité de textes qui, au terme de près de quatre siècles, ont acquis une patine dont on ne peut les dépouiller si l’on veut préserver, avec les contraintes qui lui sont inhérentes, ce regard particulier qu’exige du lecteur actuel toute œuvre du passé ; et, en même temps, se garder aussi bien d’une transposition archaïsante que d’une version dans le goût d’aujourd’hui, que sa liberté d’allure, soumise aux caprices de la mode, condamnerait à un prompt oubli.
- Quelles sont les différences entre une traduction du XVIIe siècle et une traduction contemporaine?
Une traduction du XVIIe siècle ne vise jamais à l’exactitude; elle se présente plutôt comme une “belle infidèle”, autrement dit une libre réécriture du texte de départ, en fonction des goûts et des attentes du public auquel elle s’adresse. Une traduction contemporaine, sans chercher à moderniser systématiquement l’original, ne doit pas pour autant reprendre tels quels le vocabulaire et le style d’une époque qui n’est plus la nôtre. Elle doit satisfaire à une exigence fondamentale de lisibilité.
- Chronologiquement, quelle est l’histoire des traductions de Don Quichotte en français?
Le première traduction française est celle qu’ont réalisée César Oudin pour la première partie (1614) et François de Rosset pour la seconde (1618). À partir de 1678, elle a été détrônée par celle de Filleau de Saint-Martin, qui lui est pourtant bien inférieure. À la suite de la réinterprétation romantique du héros et de ses aventures, Louis Viardot a fait paraître, en 1836-37, une nouvelle traduction, plus exacte que les précédentes, qui est encore rééditée de nos jours. Parmi les traductions récentes, on peut citer celle d’Aline Schulman, publiée par les éditions du Seuil en 1997, ainsi que celle de Jean-Raymond Fanlo, parue en 2008 dans la Pochothèque. Signalons que la traduction de la Pléiade, parue en 2001, va être rééditée par Folio classique et sortira des presses d’ici quelques semaines.
- Le public français préfère-t-il la littérature contemporaine espagnole, ou est-il également intéressé par la traduction des grands classiques?
C’est évidemment la littérature contemporaine qui l’attire le plus, parce qu’elle est davantage accordée à ses goûts, ses préoccupations et ses habitudes culturelles. Ce que confirme le succès rencontré par des auteurs tels que Vázquez Montalbán, Javier Marías ou Pérez Reverte. La traduction des grands classiques est plutôt le fait d’universitaires ; elle ne peut se maintenir que grâce à des aides comme celles du Centre National des Lettres.
- Quels œuvres/auteurs de grande importance en Espagne n’ont pas été traduits en français ? Par contre, existe-t-il des publications d’auteurs espagnols qui ont connu plus de succès en France qu’en Espagne?
Je ne pense pas qu’il y ait des oeuvres de grande importance qui n’aient pas été traduites en France. Ce que l’on observe davantage, c’est la faible audience rencontrée par de grands auteurs dont les oeuvres ont été naguère traduites, mais sans pour autant connaître le succès escompté. Tel est le cas de Quevedo, pour le Siècle d’or, ou, pour des époques plus récentes, ceux de Pérez Galdós, Miguel de Unamuno ou Valle-Inclán.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
SUITE
Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
SUITE
Catégorie
Abonnement notre bulletin
Cliquez ici
Bienvenue sur le site de New Spanish Books, un guide des...