Claude Bleton a été Directeur de la collection “ lettres hispaniques ” à Actes Sud entre 1986 et 1997 et directeur du Collège International des Traducteurs Littéraires (Arles) d’avril 1998 à juin 2005. Il a traduit environ 150 titres de l’espagnol et a publié en tant qu’auteur : Les Nègres du traducteur (roman), Métailié, 2004 ; Vous toucher, récit, Le Bec en l’air, 2007 et Broussaille, récit, Éditions du Rocher, 2008.
Comment êtes-vous entré dans le monde de la traduction ?
C’est un goût, une fascination que je ressens depuis que je suis étudiant. Et je n’ai jamais su en déterminer des mobiles rationnels. À l’époque où je passais la licence et le CAPES, je traduisais les œuvres au programme, avec l’impression qu’ainsi je rentrais davantage dans leur signification, dans leur intimité. Je peux dire que la traduction m’a beaucoup aidé à comprendre comment l’écriture fonctionnait. Trente ans plus tard, j’ai compris, en publiant mon premier roman, combien la traduction avait été pour moi une école d’écriture. Attention, je ne dis pas que traduire est une posture d’auteur, mais traduire c’est rentrer, entre autres, dans les coulisses de l’écriture, c’est comme voir un spectacle dans les coulisses et non dans la salle, c’est mettre à nu tous les ressorts qui éveillent chez le lecteur une jouissance première.
D’où vient votre relation avec l’espagnol ?
Il remonte à mes études secondaires. J’ai gardé le souvenir d’un professeur d’espagnol qui m’a ébloui et j’ai tout de suite aimé cette langue, avec laquelle je n’ai d’autre lien que cette passion pour un territoire, géographique et linguistique, infini. Par la suite, j’ai voulu garder ce rapport de passion et j’ai fait des études supérieures d’espagnol, ce qui m’a permis de rester dans un rapport étroit avec la langue et le pays. Quand je suis devenu enseignant, plus tard, j’ai fait des échanges avec les enseignants en Espagne et je suis allé travailler dans un lycée espagnol, et c’est là que ma connaissance de la langue s’est vraiment incarnée : rien de tel que de travailler avec des collègues pour partager la langue du quotidien et comprendre comment il est dur de se mettre au travail dans une langue étrangère, râler, se réjouir, se presser, s’accorder un répit, bref, la vie… dans une autre langue que sa langue maternelle.
C’est un double voyage.
Choisissez-vous les livres que vous traduisez ou vous choisissent-ils ?
Le plus souvent, c’est l’éditeur qui me contacte, mais il m’arrive de proposer des titres à un éditeur, qui l’accepte. Cest cependant une configuration assez rare. Il faut une relation de confiance très poussée. Néanmoins, j’ai créé et dirigé la collection “Lettres hispaniques” chez Actes Sud pendant dix ans et me suis alors retrouvé dans la posture amusante du traducteur (moi) qui propose à l’éditeur (moi) tel ou tel titre à publier en traduction, et moi (l’éditeur) acceptant la proposition de moi (traducteur) !
Parfois aussi il est arrivé que ce soient les auteurs qui demandent à l’éditeur que ce soit moi qui les traduise, car j’ai déjà traduit leurs ouvrages ailleurs et que l’entente et la communication ont été agréables.
Quel écrivain aimeriez-vous traduire ?
Jorge Guillén. Ce poète a été déjà traduit par de multiples traducteurs par le passé. Mais cette poésie me fascine, et la (re)traduire est pour moi une sorte d’entrée en profondeur dans cet univers sans égal, où chaque mot, chaque vers, chef d’œuvre de concision, est un défi de traduction.
Quelle est votre rapport avec l’écrivain que vous traduisez ?
C’est toujours un rapport de confiance. Et en même temps délicat. En effet, l’auteur à parfois la tentation, s’il connaît le français, de mettre son nez dans le “résultat” final. Et j’aime alors, par nos échanges, définir avec lui ou à son insu, nos champs de compétence respectifs : ce qui relève de l’écriture et ce qui relève de la traduction. Ce sont deux domaines qui ont l’air de se ressembler, alors qu’ils sont totalement différents. L’auteur écrit en totale liberté à partir de sa feuille blanche (aujourd’hui, on dit écran blanc!!), le traducteur propose dans une autre langue le ressenti qu’il a eu de la lecture de cette œuvre, et il ne travaille pas à partir d’une page blanche. Il a pour contraintes tous les mots du texte original. Et pour mission de s’en débarrasser, puisque dans sa traduction, à l’arrivée, ne subsiste aucun de ces mots (au passage, cela montre combien la notion de fidélité est fallacieuse : en effet, comment se prétendre fidèle quand déjà au lieu d’écrire, par exemple, “jambon”, on écrit “jamón” ! Pas les mêmes lettres, pas la même langue, pas les mêmes images qui viennent à l’esprit…
Vous êtes un traducteur qui est également auteur, avez-vous déjà été traduit ? Comment se conjuguent les deux professions ?
Oui, j’ai été traduit en espagnol et en italien. Mais jamais je ne me suis inquiété du texte d’arrivée. Par discrétion, bien sûr, mais surtout parce que cette traduction ne concerne plus l’auteur que je suis dans la langue française. Qund j’ai fini de batailler avec mes mots, je considère que la tâche est finie, le reste (d’éventuelles traductions) ne me regarde plus.
Par ailleurs, si traducteur est une profession, je ne suis pas sûr qu’auteur en soit une. Et j’ai toujours distingué l’une de l’autre. Un traducteur commence son travail d’écriture par un texte entièrement achevé ; pas de mystère de ce côté-là. L’auteur commence par une page blanche où chaque mot qui s’ajoute est un pari et un enjeu sur un avenir totalement ignoré. C’est pour cette raison que le traducteur n’est pas, ne peut pas être, dans l’exercice de sa profession, un auteur.
Le public français est-il intéressé par la littérature en langue espagnole qu’elle vienne d’Espagne ou d’Amérique Latine ?
Il me semble que le public s’intéresse davantage, dans le champ hispanique, aux écrivains d’Amérique latine, en ce moment. Bien sûr, cela est dû aussi au fait qu’il y a aujourd’hui d’excellents écrivains qui émergent (Mexique, Argentine, Colombie, etc). Toutefois, j’avoue que mon avis est très subjectif et ne reflète aucune autorité ni vérité, car lorsque je sors du texte, je retourne à ma vie, pas à celle de la traduction finie et à son sort futur. Je suis avant tout traducteur, je m’intéresse au texte, pas à sa diffusion.
Que traduisez-vous en ce moment ?
Je traduis toujours plusieurs livres à la fois, à des stades différents d’élaboration. Je suis en train de finir le roman d’un argentin, Patricio Pron, qui a écrit un petit chef-d’œuvre, un ouvrage qui s’interroge sur la façon de rendre compte de l’horreur (la période de la dictature militaire), une façon qui ne peut se satisfaire d’aucun modèle romanesque répertorié. Audacieux.
Quelle est votre mot préféré en espagnol ?
Ça dépend l’heure ! J’aime beaucoup le chant du mot “palangana”, et la richesse du vocabulaire espagnol dans le domaine du plaisir : fruición, goce, gozo, etc. Mais surtout ce mot, entrega, qui n’a pas son pareil en français.
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Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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