Gustavo Guerrero a fait ses études à l'Université de Cambridge, en Angleterre, puis un doctorat en Histoire et Théorie de la Littérature à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales à Paris. Il est Professeur de culture et littérature contemporaine latino-américaine à l'Université de Cergy-Pontoise, conseiller littéraire pour la langue espagnole aux éditions Gallimard, et critique littéraire dans la presse d’Amérique latine et d’Espagne. Il dirige actuellement le séminaire Littérature et Globalisation en Amérique latine à l'Ecole Normale Supérieure de Paris.
De quelle manière perçoit-on la littérature latino-américaine en France ? Suscite-t-elle un certain intérêt, la curiosité, relève-t-elle d'une tradition ? Que reste-t-il du Boom ? Et au-delà de celui-ci?
La relation entre la littérature latino-américaine et la France est une relation ancienne qui commence à la fin du XVIIIe siècle et se prolonge jusqu’à nos jours. Elle est composée de périodes très distinctes, marquées par des figures comme Darío, Alejo Carpentier ou Julio Cortázar, voire par des œuvres comme Terra Nostra (1975) ou Tours et détours de la vilaine fille (2006); mais elle présente aussi des moments moins brillants et de très nombreux malentendus. Le Boom des années soixante, qui fut préparé et, d’une certaine manière, anticipé par Roger Caillois et sa collection La croix du Sud dans le Paris des années cinquante, est désormais bien loin. Aujourd’hui, ce sont les littératures scandinaves qui connaissent un moment d’euphorie analogue, avec le bon et le mauvais côté que cela implique. La littérature d’Amérique latine est devenue une littérature étrangère de plus dans le panorama français et, comme presque toutes les littératures étrangères, elle occupe une place modeste si on la compare à celle de la littérature traduite de l’anglais, qui est de loin la plus importante, du point de vue commercial. Il suffit de se pencher sur les étals des librairies de Saint-Germain-des-Prés ou de la FNAC pour mesurer l'ampleur de cette asymétrie. C’est dans cette situation désavantageuse que nous devons nous démener (c’est le mot juste, je crois) pour rendre visible nos livres, nous qui publions des auteurs espagnols et d’Amérique latine en France.
Quelle est la motivation qui anime un éditeur à faire traduire un livre ? Quelle est la partie de hasard ? Quel parcours doit suivre un ouvrage pour pouvoir être traduit ?
Il y a sans doute beaucoup de hasard dans le processus de publication d’un livre, comme dans beaucoup d’aspects de notre vie quotidienne. Souvent, ce sont les agents qui recommandent les livres qui vont être traduits, mais parfois c'est l’amitié entre deux éditeurs qui s'avère déterminante. Personne n'ignore par exemple l'importance qui a eu la relation entre Jorge Herralde et Christian Bourgois pour les catalogues de leurs maisons d’éditions respectives. En ce qui me concerne, je pense que j’ai la chance d'avoir parmi mes amis un bon nombre de critiques, d'écrivains, d'universitaires et, en général, d’excellents lecteurs qui me donnent constamment des informations et leurs appréciations sur ce qui se passe à Mexico, Buenos Aires ou Barcelone. J’utilise également les réseaux sociaux pour suivre l’actualité et me tenir informé de ce qui se publie. Mais la décision finale est prise en interne au sein de notre maison d’édition en fonction des comptes-rendus élaborés par l’équipe de lecteurs. En tant que critique, en tant qu’éditeur, en tant que Latino-américain, je suis particulièrement intéressé par les auteurs et les œuvres qui peuvent modifier, un tant soit peu, les attentes les plus traditionnelles des lecteurs français envers la littérature venue d’Amérique latine. Telle est ma modeste contribution, disons, au renouveau des bibliothèques et à la guerre contre les clichés.
Quelles actions pourraient favoriser la traduction de l’espagnol ?
Il y a quelques années, j’aurais répondu que les actions les plus importantes étaient la subvention des traductions et le soutien aux campagnes de promotion des auteurs. Mais j’ajouterais aujourd’hui que, à plus long terme, la consolidation en Espagne et en Amérique latine d’un public plus large, intéressé par un auteur ou une œuvre hispanophone, me semble être un élément essentiel. L’une des raisons de l’intérêtcommercial pour les littératures traduites de l’anglais, indépendamment de leur valeur littéraire, est le volume de ventes qu’elles affichent dans leurs propres marchés et espaces culturels. Ce n’est pas la même chose de proposer à un éditeur étranger un livre qui s'est vendu à cinq mille ou à cinquante mille exemplaires dans sa langue originale. En ce sens, l’espagnol est une langue, un marché et un espace culturel dont on ne tire pas suffisamment profit, ce qui nous met dans une situation désavantageuse alors que nous avons un incroyable potentiel : nous sommes presque 500 millions à parler l’espagnol aujourd’hui et l’Amérique latine connaît une période de croissance sans précédant. A mon avis, en jouant avec la dynamique de la dimension locale et de la dimension globale, l’une des actions positives à long terme pour soutenir la traduction serait de travailler à l'élargissement des publics sur les deux rives de la langue espagnole, afin de pouvoir proposer une offre commercialement plus intéressante non seulement au marché français, mais aussi à ceux d’autres pays européens. J’ai l’impression que les évolutions technologiques et l’apparition de catalogues numériques peuvent y contribuer. Actuellement certains agents littéraires et éditeurs travaillent déjà dans cette direction.
Dans ce contexte, quelle est la place que peut occuper le projet New Spanish Books, dont le but est de faire découvrir aux éditeurs français les nouveautés éditoriales du marché espagnol ?
Ce projet peut nous apporter, et de fait, il nous apporte des informations non seulement sur les livres qui sont publiés en Espagne, mais aussi sur la manière dont ils sont évalués aussi bien en Espagne, qu'en France. Il s'agit très certainement de l’un des aspects les plus intéressants du projet : les avis que les lecteurs locaux émettent sur les livres.
Et chez Gallimard, quel est le poids de la littérature étrangère ? Quel est le pourcentage des livres traduits par rapport au total des titres publiés ?
Il doit tourner autour de 20 %, mais ce qui est significatif est moins le chiffre que le fait qu’il y ait toujours des lecteurs intéressés par les littératures étrangères, contrairement aux États-Unis ou en Angleterre, où très peu de littérature étrangère est traduite et où on lit moins des livres étrangers qu’en France.
Et sur le total des traductions, quel est le pourcentage de livres traduits de l’espagnol ?
Je crois qu'ils ne représentent pas 15 %. C’est la niche dont nous disposons.
Quels sont les derniers auteurs que vous avez fait découvrir aux lecteurs français ?
Découvrir n’est pas un mot que j’aime utiliser pour parler du travail de diffusion d’auteurs et d’ouvrages que nous, les éditeurs de la littérature étrangère, réalisons. Il y a trop d’éléments qui ne font que confirmer la centralité culturelle de certains pays et la marginalité des autres. Disons simplement que parmi les auteurs latino-américains et espagnols que j’ai récemment publiés et qui ont été bien accueillis par la critique et/ou le public, je peux citer le Colombien Héctor Abad avec L’oubli que nous serons (2010), le Mexicain Yuri Herrera avec Les Travaux du Royaume (2012) et nous avons de très bons échos pour le livre du Basque Kirmen Uribe, Bilbao-Nueva York-Bilbao, à paraître à la fin du mois d’avril.
Les grands connus ?
Vargas Llosa, avec Le rêve du Celte (2011), qui suscite toujours beaucoup d'articles dans la presse et qui se vend très bien.
Les grands inconnus ?
Héctor Abad l’était, plus maintenant.
Recommandez-nous un livre…
Je vous recommande d'en lire deux, tous deux d’auteurs mexicains: Hypothermie (2012) d'Alvaro Enrigue et Les Travaux du Royaume (2012) de Yuri Herrera.
Et pour conclure… votre mot préféré en espagnol ?
Par les temps qui courent, perseverancia, persévérance.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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