Né en Espagne, à Valladolid, en 1958, Adolfo García Ortega est un auteur aux multiples facettes. Il a travaillé comme journaliste pour El Pais ou La Vanguardia, mais aussi comme conseiller au Ministère de la Culture ou encore éditeur chez Seix-Barral notamment. Spécialiste en philologie française, il a également traduit de nombreux auteurs comme Roland Barthes, Blaise Cendrars ou encore Georges Perec, entre autres, mais aussi des poètes catalans comme Álex Susanna y Miquel Martí i Pol. En tant qu’écrivain, il a publié une douzaine de romans, mais aussi des nouvelles, des essais et de la poésie. Nombre de ses œuvres ont été primées et traduites en anglais, italien, portugais, grec, hollandais et hébreu. Una tumba en el aire (Une tombe dans les airs) est son avant-dernière œuvre. Elle a été publiée en 2019 aux éditions Galaxia, elle a reçu en 2018 le Prix Malaga du Roman et elle a été finaliste du prix de la Critique de Castille en 2020.
L’intrigue de Una tumba en el aire est tirée d’une histoire vraie : celle de trois jeunes Espagnols qui, le soir du 24 mars 1973, ont traversé la frontière française pour aller voir le film Le dernier tango, alors interdit dans l’Espagne de 1973. Alors qu’ils décident de boire un dernier verre dans une discothèque, ils sont confondus par des policiers espagnols avec des membres de l’organisation indépendantiste ETA, et ils sont séquestrés, torturés et tués. Comme des centaines d’autres victimes du conflit qui oppose ETA et l’Espagne franquiste, Fernando, Humberto et Jorge ne sont jamais revenus, et leurs corps n’ont jamais été retrouvés.
Adolfo García Ortega part de ce récit tragique pour reconstituer, dans un roman au rythme haletant, les faits qui ont marqué cette nuit morbide. Il entraîne alors le lecteur dans une course-poursuite, dans la lignée des romans policiers de Truman Capote et de Graham Greene, tout en dépeignant l’atmosphère sociale et politique qui règne à la fin de la dictature : l’année 1973 est en effet marquée par de nombreux attentats dont l’attaque de Luis Carrero Blanco, présumé successeur de Franco, et la violence terroriste culmine avec l’attentat de Madrid en 1974. Cette enquête romanesque succède à une enquête réelle : celle qu’Adolfo Garcia Ortega a menée pendant deux ans avant d’écrire son roman, et qui l’a conduit à prendre contact avec de nombreuses personnes ayant eu un lien avec ces crimes, des familles des victimes, aux avocats, en passant par d’anciens membres de l’ETA.
Mais, au-delà des questions politiques, ce sont des trajectoires humaines que décrit avec brio Adolfo García Ortega : si en toile de fond de cette nuit interminable, les scènes de torture qui se succèdent sont décrites avec une violence crue et presque minutieuse, il imagine les sentiments et les pensées des personnages, aussi bien des tortionnaires que des victimes, révélant la poésie d’une écriture au seuil de l’insoutenable. C’est aussi une interrogation presque philosophique, et en tout cas résolument humaine, qui sous-tend son écriture lorsqu’il met en évidence la complexité de la psyché humaine et de ce qui motive la violence : sans excuser l’horreur des actes commis, on peut lire pourtant le besoin d’appartenance, de reconnaissance, et la solitude des membres de l’ETA, tout comme les peurs et les rancunes qui poussent au combat et alimentent l’indescriptible. Car la violence est née des deux bords, et tous sont responsables de la méprise qui a conduit à l’horreur.
Una tumba en el aire n’est pas le premier roman à aborder la question des crimes du terrorisme basque de l’époque. Souvent plus ou moins autobiographiques, basés en tout cas sur la douleur des événements historiques, ceux-ci se sont multipliés ces dernières années. Parmi les plus célèbres et ceux qui ont été traduits en français, on peut notamment citer le très primé roman Patria de Fernando Aramburu, publié en 2016 chez Tusquets Editores, et aux Editions Actes Sud en 2018 sous le titre de Patrie, qui retrace l’histoire de deux familles basques, déchirées par les conflits politiques. Les points de vue sont variés et parfois opposés, depuis le regard des enfants des victimes comme dans El comensal (2015, Caballo de Troya) ou Le dîner de Gabriela Ybarra, à celui d’un membre de l’ETA repenti comme Iñaki Recarte dans Lo difícil es perdonarse a uno mismo / Ce qui est difficile c’est de pardonner à soi-même (2015, Ediciones Península). Cependant, ce qui fait la force et la nouveauté de l’écriture d’Adolfo Garcia Ortega, c’est cette enquête policière, mêlant à la fois précision historique et portraits humains, qui parvient à tirer de l’oubli et à rendre justice à Fernando, Humberto et Jorge. C’est alors, et surtout, un hommage, à la mémoire de ces trois jeunes hommes comme à celle de toutes les victimes de ce conflit. À tous ceux que l’on n’a jamais pu retrouver et dont les « tombes (sont) dans les airs », car leurs familles n’ont pu en faire le deuil et les attendent encore.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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