Lecteur: André Gabastou
Fernando Castillo (Madrid, 1953) est l’auteur d’une œuvre éclectique qui s’intéresse aussi bien à l’histoire de Madrid qu’à celle de Paris avec pour dénominateur commun l’évolution des hommes, des sociétés et leurs liens dialectiques. Il a été, par ailleurs, commissaire d’expositions de peintures et de photographies. Le titre du livre París-Modiano résume fort bien le contenu afférent. L’œuvre de Patrick Modiano n’est pas la première à se confondre avec Paris, pensons à celles de Balzac, Flaubert et Zola, mais elle est la seule du XXe siècle à accorder une telle place à la capitale de la France, qui varie d’ailleurs au gré des événements. Modiano décrit Paris à la lumière de l’évolution de la société française entre deux extrêmes qui ont marqué l’histoire nationale du XXe siècle, l’Occupation allemande après la défaite de 1940 et les événements de mai 68 ayant mis fin au régime issu de la Résistance qui avait prévalu jusqu’alors. La période a été maintes fois évoquée par l’histoire et la littérature, la mythologie de la Résistance ayant été souvent relue et corrigée, notamment par l’historien américain Robert Owen Paxton, spécialiste du régime de Vichy, mais Patrick Modiano l’a fait à la manière d’un écrivain en en faisant la toile de fond de ses principaux romans. Fernando Castillo y ajoute sa griffe personnelle en évoquant le jeu des relations entre l’Espagne et la France, toujours passionnelles depuis l’avènement de la péninsule sur la scène littéraire française avec Le Cid de Corneille jusqu’à l’imitation des indignados espagnols par les partisans de la Nuit debout, place de la République à Paris.
Dès l’introduction, Castillo annonce la couleur de son essai : « Avec la phrase de Stendhal, “je ne peux pas montrer la réalité des faits, je ne peux qu’offrir leur ombre”, Modiano indique comment il faut comprendre sa relation avec la réalité, une relation aussi personnelle et littéraire que vraie, dans laquelle les faits survenus et les personnages vont et viennent entre l’histoire et la fiction ».
Résultat d’un frottement entre réalité et fiction, l’œuvre de Modiano superpose géographies réelle et imaginaire, histoires collective et individuelle, personnages réels et inventés. C’est au sein de cette carte embrouillée et inextricable que naît l’une des œuvres les plus limpides de la littérature contemporaine, tant elle semble couler de source, en fait l’une des plus obscures comme le suggère si bien le titre du roman Rue des boutiques obscures, l’une des œuvres les plus retorses de l’auteur comme le savent ceux qui ont essayé d’en faire l’analyse littéraire.
Fernando Castillo se place davantage en historien que critique littéraire, il part de l’histoire pour faire le partage dans le texte entre ce qui relève de l’invention et ce qui est une évocation des faits réels. Il y parvient grâce à sa connaissance exhaustive de la période.
Il montre fort bien que le célèbre clair-obscur modianesque, cette sorte d’indécision dans les repères de la mémoire, prend pour point de départ une indétermination biographique. La mère, actrice, belge fuit les nazis et croit trouver refuge à Paris, le père bien que juif, fréquente des milieux interlopes pour redorer sa fortune ou simplement survivre qui font bon ménage avec la collaboration. Tout manichéisme est pulvérisé et l’on ne peut s’empêcher de penser au travail accompli par Andrés Trapiello sur les intellectuels espagnols et la guerre civile dans son essai célèbre en Espagne Les Armes et les Lettres.
L’essai de Castillo est, par ailleurs, assorti d’une passionnante bibliographie dans laquelle apparaît notre confrère Juan Manuel Bonet et d’un index onomastique.
L’édition particulièrement soignée de ce livre devrait retenir l’attention d’un éditeur français soucieux d’une part de renforcer le corpus du prix Nobel de littérature et d’autre part d’ajouter une pièce significative aux relations franco-espagnoles.
