Lecteur: Alejandra Carrasco
Romancier, essayiste et journaliste argentin, Giardinelli est un des auteurs phare de la littérature argentine. Bardé de prix, il a été traduit dans plus de vingt langues. On lui doit notamment le très beau polar Luna caliente (1983), porté deux fois au cinéma.
Lorsque Giardinelli entreprend son voyage en Patagonie avec son ami et poète espagnol Fernando Operé, rien n’est prémédité, pas même l’idée d’en faire un livre : ils veulent se laisser surprendre par ce qu’ils trouveront. Munis d’une carte approximative, ils partent un peu au hasard, évitant les spots touristiques, tâchant d’oublier les grands prédécesseurs tels que Chatwin ou Sepúlveda afin de ne pas conditionner leur regard. Ils quittent le Nord de l’Argentine à bord de leur fidèle destrier, Colorado Perez, une petite Ford rouge qui tiendra le choc des huit mille kilomètres parcourus en deux mois.
Plus qu’un énième livre sur la Patagonie, Final de novela en Patagonia est une œuvre protéiforme, foisonnant d’histoires et de réflexions politiques, poétiques, littéraires. Ce n’est pas seulement un récit de voyage, même s’il offre de quoi nourrir la curiosité paysagiste du lecteur pour cette région démesurée, même s’il adopte souvent la forme d’une galerie de rencontres éphémères : ce cocu qui semble tout droit sorti d’un tango de Gardel, cette ancienne victime d’une séquestration qui décide de s’installer en Patagonie parce que c’est le seul lieu où rien n’a d’importance, ce cycliste anglais qui pédale depuis onze ans parce qu’il ne peut plus faire autrement.
Ce n’est pas non plus un livre de souvenirs, même si l’auteur nous en raconte, notamment de son père et de son premier ami mort, mais surtout de Juan Rulfo, dont il fut l’ami et dont il nous livre un magnifique portrait.
Ce n’est pas davantage un recueil de reportages, même si on pourra y lire quelques chroniques poignantes et emblématiques de l’Argentine d’aujourd’hui : celle de ce jeune homme brûlé vif lors d’un bizutage et dont le procès n’a jamais pu avoir lieu, faute d’un système judiciaire digne de ce nom.
C’est un livre qui prend souvent l’allure d’une dénonciation, ou du moins de réflexions indignées et mordantes sur l’appauvrissement moral et culturel de l’Argentine, manifeste à tout bout de pampa, sur le je-m’en-foutisme de ses dirigeants, en particulier en matière de préservation et d’exploitation des immenses richesses que recèle cette région.
Il n’est pas un chapitre qui ne rejoigne aussi la fiction, celle du road novel sur un couple en cavale que Giardinelli n’arrivait pas à finir avant son départ : faisant feu de tout bois, l’imagination du romancier recycle les lieux insolites traversés, les personnes croisées, les histoires glanées pour ébaucher les aventures de plus en plus romantiques et rocambolesques où il embarque ses protagonistes. Aussi attentif au monde extérieur qu’à ce qui se passe en lui, il se regarde créer, nous dévoilant quelques secrets de fabrication comme cette nécessité de s’adresser, lorsqu’il écrit, à une personne en particulier.
Et puis, il y a ses petits encarts dans chaque chapitre qui nous amènent ailleurs, loin de la Patagonie, tantôt dans un rêve de l’auteur (matériau privilégié de son travail de romancier), tantôt dans un texte emprunté, comme les perles de l’affûté de Fray Gómez de Oro y Saavedra, auteur du Libro de Doctrina y Comportamiento (1740).
Aussi, pour peu qu’il arrive sans idées préconçues, prêt à se laisser surprendre, le lecteur accomplira un passionnant voyage immobile en la compagnie de cet auteur généreux, qui ouvre volontiers son cœur et son laboratoire d’auteur. Je me suis sentie très vivante en sa compagnie.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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