Lecteur: Eduardo Carrasco
Cesar Rendueles est un enfant du XXIème siècle qui s’inscrit naturellement dans la plus originale de ses expression politiques : celle qu’a rendu visible le mouvement Espagnol des indignés et qui se manifeste peut-être aujourd’hui en France dans les nuits debout de la place de la République. Une méfiance à l’égard de la société libérale que ne vient pas conforter une adhésion au socialisme.
À 41 ans, il a déjà réussi son entrée dans le monde académique et dans le genre si prisé et périlleux des essais sociologiques (Sociofobia 2013). Il lui restait à réussir un mariage : celui entre une culture livresque assez étendue pour compter des classiques et des perles rares de la science-fiction, et une culture scientifique qui alimente ses convictions.
C’est en respectant ce pari que Rendueles s’avance, non pas tant comme sociologue que comme militant, pour partager avec nous un regard critique sur le capitalisme —mais aussi sur son pendant idéologique, le marxisme—, qu’il illustre avec des morceaux choisis d’œuvres littéraires avec lesquelles il entretient une relation où la connaissance est le support des émotions. Le mieux, pour comprendre un procédé où l’ironie et le regard décalé sont toujours présents, est probablement d’en donner quelques exemples.
Le premier personnage littéraire cité par l’auteur est Robinson Crusoé. Rendueles ne s’en tient pas à la version signée par Defoe, mais utilise la manière dont le personnage et sa situation ont a été déclinés comme le sont les standards du jazz pendant plus de deux siècles. Il y a dans ce chapitre à la fois Georges Perec, Tournier, et Frédérik Pohl.
W ou le souvenir d’enfance, fable cauchemardesque mettant en scène une version totalitaire des idéaux olympiens, devient la métaphore d’une économie de marché où tous luttent contre tous, s’éliminant à tour de rôle ; chacun étant amené à devenir obsolète lorsque sa gloire est passée. Jouant sur notre corde sensible, Rendueles nous rappelle que le roman se déroule en Terre de Feu, où la contre révolution de Pinochet à exilé les opposants à la dictature chilienne.
Dans Les marchands de l’espace, Frederik Pol et Cyril Kornbluth imaginent une société dominée par les relations capitalistes de production et les conditions de la croissance. Les « producteurs » y sont le marché que des agences de publicité toutes-puissantes manipulent pour maintenir un jeu pervers dont une minorité profite. Le consommateur a remplacé le citoyen. Rendueles s’interroge : la réalité n’est-elle pas proche de cette fiction ? « Dans les entreprises, nous acceptons une subordination à laquelle nous répugnerions ailleurs, y compris dans notre vie de famille ».
Le Robinson de Tournier apparaît à l’auteur comme le mensonge mis à nu. Quel mensonge ? Celui qui argumente en faveur des vertus civilisatrices du commerce international. Il en veut pour preuve la marchandisation de l’être humain. Mais ce chef d’œuvre de la littérature alimente d’autres réflexions. Dans son île, le naufragé reproduit la « spirale de productivisme bureaucratique manifestement irrationnelle ».
C’est ce principe, celui qui permet une habile triangulation entre le fait scientifique, la littérature et les opinions dans tout ce qu’elles ont de subjectif, qu’illustre le livre de César Rendueles. Qu’il conforte des convictions, qu’il soit le poil à gratter d’une gauche libérale, ou qu’il effraie les plus conservateurs, ce livre ne laissera personne indifférent. Il constitue l’introduction parfaite à une pensée qui n’avait pas encore trouvé de voix pour exprimer un désenchantement paradoxalement teinté d’espoir.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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