Lecteur: Serge Mestre
L’illustrateur argentin Gusti a conçu un album de jeunesse traitant de son expérience de père avec son jeune fils porteur du Syndrome de Down (ou Triso-mie 21).
Le livre se fait l’écho d’une complicité père-fils empreinte d’une émouvante tendresse, d’une déchirante affection, d’une passion sans borne, ou plutôt qui gomme les bornes dans la mesure où tous les sentiments sont multipliés à l’extrême, le « dit » devenant la « vie » et le « dire » le « vivre ».
Le parti pris par Gusti est ici de se lancer sans à priori dans une redécouverte du monde à travers les yeux, et le corps aussi, de Mallko, son fils, qui adore son papa au point de ne rien concevoir en dehors de lui.
Et ce que Gusti redécouvre en premier, ce sont les activités intimes ou domestiques selon son fils, le rapport à l’autre selon Mallko. Gusti ne tente surtout pas de parler de son fils, d’en faire le portrait, il se contente de dépeindre leur relation du point de vue de son fils et certainement pas du sien.
Et c’est bien une question de point de vue qui rythme l’ensemble du livre : Ainsi, le papa de Mallko parle le plus souvent de lui-même à la troisième personne, il aborde différents thèmes de la vie de son fils, par exemple L’École, Le Bain, Les Jeux… (qui deviennent comme des titres des chapitres dans le livre) du point de vue de Mallko.
Il observe l’ensemble des sentiments (Aimer, ne pas aimer, Vouloir, Préférer…) de la même façon.
Il s’attaque à des attitudes minuscules avec les objets (comme avec Les Petites Voitures, La Casquette...) en évitant de les qualifier.
Ainsi la plus solide obsession devient une simple répétition du même geste ou de la même attitude, qui s’attache plutôt à définir une nouvelle éthique ou une nouvelle esthétique, qu’une figure pathologique.
Bref, on aura compris que des moments comme Le Petit-Déjeuner, Le Bain, Les Toilettes, Le Médecin… deviennent de vrais moments de décalage, de vie différente, portant ses propres enseignements regardés de l’intérieur, et donc à aucun moment jugés ou pathologisés. Pour cela Gusti tente également de mettre en question, à la manière de Mallko, sa forme d’expression, son esthétique et utilise dans ses illustrations de nombreuses techniques plastiques (peinture, pastel, dessin, collage…) comme si les illustrations également étaient vues depuis le point de vue différent de son fils.
Mallko et papá est un livre extrêmement touchant, émouvant, qui s’attaque au thème de la différence à l’intérieur de notre société, de façon on ne peut plus humaine et altruiste, en contournant du mieux qu’on peut toute tentation compassionnelle, et en mettant le lecteur devant un regard inédit envers la difficile approche du thème de la Différence (qui ne va souvent pas sans la souffrance). Ce livre est non seulement magnifique, il est nécessaire.