Le jeune reporter Miguel Bravo a 26 ans. La Birmanie est son premier grand reportage. On est en septembre 2007, pendant la « révolution de safran ». Il découvre le petit cercle international, cynique et musclé des « reporters poils aux pattes ». L’homme qu’il admire et qui va l’entraîner dans une histoire tragique est un reporter américain « capé », Daniel Vinton, qui a longtemps été envié et respecté, jusqu’au jour où, en Afghanistan, pour échapper à la mort dans une embuscade montée par les Talibans, il a grimpé dans le dernier humvee en laissant derrière lui son fixeur blessé, donc voué à une mort atroce. Il y a comme un code d’honneur chez ces chevaliers de l’information de guerre, et dans ce code, comme à l’armée, on n’abandonne pas ceux qui dépendent de soi. Vinton a démissionné du journal prestigieux qui l’employait et a préféré jouer à Ponce Pilate, puis, ayant refusé de faire le clown en treillis à la télé, et contrairement à ce qu’il imaginait, il n’a plus reçu d’offres d’emploi importantes : un journaliste, aussi bon soit-il, ne vaut généralement que ce que son journal lui a permis d’être. Vinton s’est mis à travailler en free lance, pour des journaux de seconde zone, sans enthousiasme. Résultat : « Dans son travail, arriva ce qu’on appelle le Moment Hemingway : tu te réveilles un jour dans un endroit où personne ne voudrait être, tu te regardes dans un miroir. Il te renvoie non seulement l’image de ce que tu fus, mais aussi celle de ce que tu ne seras plus jamais. Tu te dis que tu pourrais au moins recevoir la récompense d’un monde dont tu as passé tant d’années à raconter les merdes, et tu découvres alors que, de l’autre côté du comptoir, il n’y a personne. »
C’est ce personnage que Miguel Bravo décide d’aller saluer au bar. Est-il vrai que rien ne détruit un mythe comme « la proximité d’une conversation au comptoir d’un bar » ? La galerie de portrait qu’il compose est, comme on dit, taillée à la serpe, restituant le kitsch et, à l’occasion, la grandeur de circonstances de ces personnages plus ou moins alcoolisés. La reporter de Libération s’appelle Nicole Maza. C’est de la fiction, puisque Libération n’avait envoyé aucune journaliste là-bas en septembre 2007, mais on sent que, comme pour les autres, l’auteur pense à quelqu’un. Attardons-nous sur son portrait, car il donne le style du livre. Nicole Maza est une jeune femme aigre, scrupuleuse et intransigeante, aux gros seins, et qui envoie paître tous ceux qui la draguent. Elle est célèbre pour avoir collé une baffe à un chef afghan qui la croyait facile, comme le sont pour ces gens-là toutes les occidentales. Sa rigueur a conduit certains reporters à dire qu’elle était lesbienne, on est pipelette, machiste et médisant chez les reporters de guerre, et, quand elle a fait tandem avec un journaliste serbe, on leur a prêté une idylle que rien ne permettait de confirmer, jusqu’au moment où celui-ci est mort à Gaza : « Nicole continua à couvrir les conflits, et toutes sortes de reporters, en particulier les Français, les plus énergiques à mettre de l’amour dans la guerre, continuèrent à échouer face à ce mur infranchissable. Ils la surnommèrent la Veuve, sans que nul n’ose le lui dire en face. »
L’intrigue est comme les personnages, « bien campée », et joue complaisamment avec des clichés que cette profession a rendu presque inévitables ; mais il est préférable de lire Territoire Comanche, d’Arturo Perez Reverte, qui fut correspondant de guerre, son surnom était alors Rambito. Il publia ce livre sec, presque stendhalien, en 1994.
Les Belles Lettres viennent de l’éditer en français. L’auteur de El corresponsal, le journaliste David Jimenez, a également été correspondant de guerre. Il est actuellement directeur du quotidien El Mundo. Son livre est dédié à Ricardo Ortega, reporter de télé tué à Haïti en 2004, et « aux reporters qui ne sont pas revenus ». D’une certaine façon, ses personnages rendent hommage aux fantômes qu’ils caricaturent. Ainsi entretient-il, avec l’efficacité sans subtilité propre aux best-sellers (ou aux livres faits pour le devenir), le mythe qu’il décrit. C’est une victime de la postérité de Hemingway.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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