Pétrocalypse, chronique d’un désastre annoncé
Si les effets néfastes des combustibles fossiles sur notre environnement ne sont plus à démontrer, si la nécessité pressante d’une décarbonation de l’économie ne fait plus débat, force est de constater que nous ne parvenons pas à enrayer notre dépendance aux énergies non renouvelables, et ce, en dépit de leur épuisement imminent. Pourquoi, loin d’y parvenir, nous enfonçons-nous davantage dans une crise annoncée de longue date, au risque de ne plus nous en sortir ? C’est la question que pose Antonio Turiel dans son essai Pétrocalypse, dont le sous-titre Crise énergétique globale et comment nous (n’)allons (pas) la résoudre donne d’emblée le ton : le problème est insoluble. Sauf que, nous dit Turiel, il n’y a pas de problème insoluble, mais de problème mal posé.
Physicien et mathématicien, chercheur à l’Institut des Sciences marines du Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC), Antonio Turiel est connu pour son travail de vulgarisation scientifique. Dans ce cadre, il tient notamment le blog The Oil Crash (https://crashoil.blogspot.com), consacré au pic de production du pétrole brut conventionnel et à ses répercussions sur l’économie mondialisée, ainsi qu’aux mesures à adopter pour y remédier. En 2020, il fait paraître Petrocalipsis, un ouvrage qui se veut « digeste » et à la portée de tous, dépourvu de technicité mais non de rigueur, où il entend « envoyer un message à la société » pour alerter sur la chute énergétique inéluctable et les alternatives qui, souvent mises en avant comme des solutions, n’en sont pas.
Chapitre après chapitre, l’auteur passe en revue chacune des sources d’énergie disponibles pour mieux en montrer les limites. En particulier, il démystifie l’idée selon laquelle les énergies renouvelables pourraient, à terme, remplacer les énergies fossiles. Aujourd’hui, la plupart de nos transports sont basés sur le pétrole, c’est « la sève de l’économie mondiale », et près de 90 % de notre consommation énergétique provient de sources non renouvelables. Les énergies renouvelables, quant à elles, s’orientent à la production d’électricité, qui, dans nos sociétés industrialisées, ne représente que 20 % environ de la consommation d’énergie finale. Elles sont donc bien loin de couvrir nos besoins énergétiques, sans compter que leur production est fortement dépendante des énergies fossiles et des ressources minérales ayant déjà amorcé leur déclin. Un à un, Turiel égrène les « pourquoi pas » : « Pourquoi l’énergie hydraulique ne pourra pas croître davantage », « Pourquoi tout ne peut pas être alimenté par l’énergie éolienne », « Pourquoi nous n’installerons pas de millions de panneaux solaires », « Pourquoi nous ne pourrons pas subvenir à nos besoins seulement grâce aux énergies renouvelables »… Et lorsqu’il consacre un chapitre à la voiture électrique, c’est pour mieux pointer les obstacles à sa généralisation.
Une après l’autre, l’auteur de Petrocalipsis s’attèle à démonter les idées reçues et à déjouer les pièges de la « pensée positive » qui attend tout de la science et la technologie. « Je ne prétends pas que la recherche scientifique et le développement technologique soient inutiles ; au contraire, je suis sûr qu’ils apporteront encore de nombreuses choses utiles à l’humanité. Mais ne faites pas peser sur nos épaules à nous [scientifiques et technologues] la lourde tâche de résoudre l’impossible. Ne demandez pas de choses physiquement irréalisables, en espérant qu’un jour le progrès scientifique et technologique vienne à bout des contradictions engendrées par une grave erreur de conception et de perspective sociale. » (p. 201) Aucune innovation scientifique ou technologique ne parviendra à résoudre cette équation.
Or, si le problème est sans solution, disait-on, c’est qu’il est mal posé. Notre système économique, basé sur la croissance infinie, se heurte aux limites physiques de notre planète. Le constat est désormais bien connu : il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini – et le changement climatique, la dégradation des écosystèmes, l’effondrement de la biodiversité sont là pour nous le rappeler, symptômes d’une crise globale et systémique. Cependant, nous nous obstinons à miser sur la croissance, faisant fi de cette règle d’or comme des principes fondamentaux de la thermodynamique. Nous espérons résoudre cette crise sans remettre en question le modèle productiviste et extractiviste qui en est la cause et qui menace l’habitabilité de notre système Terre, autrement dit, sans sortir du capitalisme. « Ces dernières années, nous assistons à un processus de “négociation” entre le capitalisme et les limites biophysiques de la planète. » (p. 174) « Il n’y a plus de marge pour la négociation. Nous ne pouvons rien faire à l’intérieur du capitalisme. Tant que nous n’aurons pas quitté ce système, cette crise n’aura pas de fin. » (p. 177)
La croissance durable serait une contradiction dans les termes, le capitalisme vert, une vaste supercherie. L’avant-dernier chapitre, intitulé « Ce qu’il faut vraiment changer », esquisse un début de réponse sous forme de mesures qu’il conviendrait de mettre en place si nous voulons nous adapter à une décroissance désormais inévitable et irréversible, et qui, à défaut d’être pilotée, sera chaotique et subie. Ainsi, après avoir décliné les non-réponses et les fausses bonnes idées, le livre se ferme sur une note positive : « pourquoi oui ». La solution, affirme Turiel, n’est ni scientifique ni technologique, elle est sociale. C’est à ce changement de paradigme, à ce nouveau projet de société qu’il est urgent de réfléchir.
Paru juste après le confinement, Petrocalipsis comporte un chapitre consacré aux effets de la pandémie sur la crise énergétique. Depuis, celle-ci n’a pas cessé de s’amplifier. Comme le souligne son éditeur, le débat de fond que cet ouvrage pose dans des termes clairs et rigoureux est toujours d’actualité et deviendra de plus en plus prégnant.
Ce livre apporte un éclairage indispensable pour comprendre les enjeux énergétiques qui nous attendent et contribuer à un débat brûlant d’actualité.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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