Il y a maintenant six ans, Jean-Marc Roberts me confiait la magnifique collection de littérature étrangère des éditions Stock, La Cosmopolite. Quelle ne fut pas ma joie à l’idée de prendre soin d’un tel catalogue. Né à la fin du XIXème siècle autour du projet fou de publier en français tout Tolstoi, celui-ci réunit en effet les œuvres d’Oscar Wilde à Jorge Amado, en passant par Stefan Zweig, Sigrid Undset, Isaac Bashevis Singer ou Joyce Carol Oates. Pour ma part, les œuvres de Virginia Woolf et Carson McCullers publiées dans cette collection à la célèbre couverture rose avaient particulièrement compté.
Comment alors ne pas se sentir intimidée ? Mais ce sentiment s’est vu amplifier par la folle mission que Jean-Marc m’assignait alors, trouver les auteurs vivants méritant de figurer à ce palmarès. Quand il formula cette attente, j’étais sûre qu’il était fou. Je lui suis aujourd’hui follement reconnaissante de m’avoir encouragée sur ce chemin. Et les belles découvertes n’ont pas tardé. Très vite je découvrais l’univers de Monika Fagerholm, sorte de mélopée lynchéenne inspirée des légendes et la rudesse des paysages nordiques, mais également le roman de Sasa Stanisic, Le soldat et le gramophone, une évocation de la guerre des années 1990 dans les Balkans, portée par un questionnement bouleversant et permanent sur la capacité de l’écriture à faire œuvre de mémoire. Cette question est au cœur de nombre d’œuvres que j’ai pu publier. Il y eut en 2010 la magnifique aventure de la publication de Purge, le roman de Sofi Oksanen au sein duquel s’affrontent et s’apprivoisent deux magnifiques personnages de femmes, l’une représentant le présent terrifiant de la Russie post-communiste tandis que l’autre porte les blessures du au passé de l’occupation soviétique en Estonie. Au bout de six ans, je reconnais l’importance dans mon travail d’une phrase de Duras, « Ecrire, c’est crier en silence. » Et si depuis mes débuts chez Stock je recherche des textes porteurs d’histoires, et d’une écriture singulière, affirmée, je choisis avant tout de publier des écrivains habités par certains silences.
Nous publions donc une douzaine de romans étrangers chaque année, et à mes débuts, les rééditions représentaient la moitié des parutions. Aujourd’hui, il s’agit plutôt d’un tiers des titres. J’entrepris pour commencer de rééditer les romans d’Isaac Bashevis Singer, dont l’œuvre ressuscite l’univers du shtettl, l’organisation de la communauté juive dans l’Europe centrale d’avant la Shoah, et décrit le sort des survivants une fois immigrés en Amérique. Shosha tout d’abord. Ce roman représente un moment important car l’action principale se joue à Varsovie en 1935, alors que le ghetto se referme sur la communauté juive, et le narrateur va se trouver devant un dilemme cruel : sauver sa peau ou sa conscience.
Je me suis également consacrée à l’œuvre de Virginia Woolf et notamment en rééditant en deux volumes l’intégralité de ses journaux. Par ailleurs, j’ai confié à Agnès Desarthe et Anne Wicke la retraduction de La chambre de Jacob, œuvre-clé, et de Au phare.
J’en profiterai pour faire ici une parenthèse sur l’importance de nos relations avec les traducteurs. En littérature étrangère, si le choix de l’auteur est capital, rien ne se passe avant qu’on ait choisi le traducteur et tout peut encore échouer si celui-ci ne parvient pas à restituer la personnalité de l’œuvre. Tout comme ils peuvent parfois la magnifier. Nous sommes donc extrêmement fidèles aux traducteurs avec qui nous vivons de belles expériences.
En ce qui concerne la recherche d’auteurs contemporains, il est difficile de résumer les approches possibles. Nous sommes en contact régulier avec les agents et éditeurs étrangers, et là aussi certains rapports de confiance nous incitent à privilégier la lecture de certains textes qu’on nous propose. Il est important que ceux-ci prennent le temps d’essayer de comprendre ce que nous recherchons, et nous tentons aussi de le leur faire savoir.
Certains voyages nous permettent de découvrir certaines littératures. J’ai eu ainsi la grande chance d’être invitée en Israël et en Australie en 2011. Suite à cela, j’ai pris la décision de publier deux écrivains israëliens, Moshe Sakal et Ronit Matalon, qui nous racontent les racines orientales de leur pays. Et je suis revenue de Sydney en possession d’un roman, Des cailloux dans le ventre, de Job Bauer, qui selon moi résume magnifiquement combien la vie d’un être consiste à dénouer les malentendus de l’enfance. En restituant magnifiquement la force qui anime cet âge.
Si nous tentons de répartir les publications sur l’ensemble de l’année, la rentrée de septembre reste un moment important. En mai et juin, nous commençons à présenter les livres aux libraires et aux journalistes, en attendant avec foi et anxiété de savoir s’ils partageront nos élans.
Jean-Marc Roberts m’a sans cesse rappelé le temps qui était nécessaire à un éditeur pour imposer les écrivains importants. Je lui suis extrêmement reconnaissante de me l’avoir assuré. J’ai compris part ailleurs qu’on ne juge de la vocation d’un éditeur qu’à sa capacité à encaisser les échecs. Sans jamais que son enthousiasme ne retombe…
Pour cette raison, mon plus grand plaisir après le succès de la publication de Purge fut d’éprouver dès les mois qui ont suivi de nouveau coups de cœur : la lecture du roman de Jennifer Egan, Qu’avons-nous fait de nos rêves ?, fut de ceux-là. L’écrivain restitue la dramaturgie même de nos existences et convoque des personnages inoubliables, tout en inventant une structure narrative d’une grande puissance, servant son projet, rendre compte des inconstances du passage du temps. Enfin, je suis particulièrement fière de préparer la naissance en octobre prochain d’une collection sœur de La Cosmopolite, La Cosmopolite noire. Celle-ci publiera des romans noirs étrangers, littéraires. Les thèmes seront nouveaux, les voix des personnages également. Dolores Redondo Meira est une jeune auteur espagnol dont le premier roman Le gardien invisible sera l’un des premiers titres de cette collection, à paraître en mars 2013. Une jeune inspectrice que poursuit encore son histoire familiale mène une enquête difficile en pleine campagne basque espagnole. Des jeunes filles sont assassinées à l’entrée de la puberté et la violence de ces crimes fait ressurgir la violence de la mère de l’héroïne.
Je profite de ce moment pour saluer le travail de ma plus ancienne collaboratrice à l’éditorial, Claire do Sêrro. Si j’ai décidé dès mon arrivée chez Stock de m’intéresser à la littérature de langue espagnole, - et je tiens particulièrement au travail de l’écrivain cubaine Wendy Guerra, poétesse dont j’ai publié les premiers romans -, je ne lis pas l’espagnol et ne pourrais donc avoir découvert les œuvres d’Eduardo Lago ou Lucia Puenzo sans la collaboration de Claire, arrivée chez Stock il y a quatre ans. Nous sommes fières de compter ses écrivains à notre catalogue car ils démontrent une inspiration immense et une grande inventivité formelle.
Et nous comptons bien poursuivre l’exploration de ces territoires romanesques, afin de poursuivre le travail entrepris pour La Cosmopolite, et de nourrir le catalogue de La Cosmopolite noire !
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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