J'ai découvert l'Espagne, je veux dire autrement que pour un voyage touristique, un peu en profondeur, en m'immergeant dans le pays en 1996.
C'était le 60e anniversaire de la guerre civile, que l'on appelle en France Guerre d'Espagne. Il n'était pas célébré là bas avec des clairons. Plus d'illusion lyrique. Ce qui semble normal quand on y pense : on ne chante pas sur l'air des lampions des centaines de milliers de victimes, tuées par des compatriotes, parfois par des voisins.
J'avais l'idée de faire une série de reportages pour le quotidien Libération sur des histoires de ce conflit fratricide sanglant et douloureux. Et de voir des films produits pendant cette époque...
J'ai eu la surprise de découvrir assez vite que, malgré la lecture de L'espoir (ou plutôt à cause de cette lecture), je ne connaissais pas grand chose à tout ceci. J'étais au départ fasciné par le mythe antifasciste de la guerre d'Espagne : La gauche debout dans les plis des drapeaux républicain et rouge, contre la droite, soutenue elle par l'église, Hitler et Mussolini.
Je comprenais les combats en Espagne comme répétition générale de l'affrontement mondial qui allait suivre. Je regardais cette épisode tragique comme l'épopée des combattants internationaux, de grandes figures vues de loin, de trop loin, George Orwell, Buenaventura Durutti, Vital Gayman, Francisco Largo Caballero… Tout ça en désordre et confusion. Les tensions et les contradictions sanglantes qui la caractérisèrent (par exemple, la guerre civile dans la guerre civile entre d'un côté les communistes staliniens et de l'autre communistes anti staliniens et anarchistes), les massacres, les fautes, les trahisons, je les ignorais.
J'ai vu des dizaines de films réalisés pendant cette époque troublée, de 1936 à 1939, et ce fut pour moi l'occasion de découvrir l'importance des anarchistes d'abord dans l'industrie cinématographique puis dans des régions entières comme la Catalogne et l'Andalousie. Une puissance qui s'était donc convertie en un grand nombre de films d'actualité, de propagande, et aussi en quatre films de fiction.
J'ai relu Orwell, discuté avec un historien du cinéma, cinéaste lui-même et grand connaisseur de cette époque, Ferran Alberich. J'ai vu les films réalisés par les franquistes, les communistes, les socialistes et les républicains catalans entre 1936 et 1939. J'ai commencé à comprendre que même si il y avait eu des félons, des rebelles (qui étaient de droite) et des loyalistes (de gauche), l'affaire était plus complexe que je ne le pensais.
J'ai commencé à lire les essais des historiens espagnols (Antonio Elorza, Antonio Bar, Josep Termes, Julian Casanova, Eulalia Vega…) inédits en français… J'ai compris que je n'avais pas compris grand chose auparavant. Et je continue à penser qu'il est dommage que leurs livres ne soient pas traduits en français…
La même chose s'est passée pour le cinéma.
Pendant mon passage à Madrid est sorti Libertarias, de Vicente Aranda. Le sujet même, les femmes espagnoles qui choisissaient de rejoindre la CNT et la FAI, les anarchistes, me passionnait. Et le film n'était pas mauvais. On y retrouvait Vitoria Abril, qu'en France on connaissait déjà bien, Ana Belen, qui était moins célèbre chez nous, Miguel Bosé, qui interprétait un curé défroqué devenu secrétaire de Buenaventura Durruti, Bosé, et qui avait déjà imposé sa trace en France en jouant par exemple le duc de Guise dans la Reine Margot de Patrice Chéreau…
Quand je suis rentré à Paris, j'ai parlé du film. Pour la plupart des critiques de mon entourage, Aranda était un parfait inconnu… Les Français n'avaient qu'un nom en tête, Almodovar (et à la limite Buñuel). La situation a certes un peu changé, Alex de la Iglesia n'est plus un fantôme et Alejandro Amenabar s'est aussi fait un nom.
Peu de gens en France ont lu les livres de Roman Gubern sur le cinéma espagnol. Qui reste profondément terra incognita, ou excusez moi, tierra desconocida pour la plupart d'entre nous…
Que dire de la littérature? Si Javier Cercas, avec Les soldats de Salamine, A la vitesse de la lumière ou Anatomie d'un instant, a réussi à se faire un peu un nom dans notre pays, si Javier Marias est un peu reconnu (Marias, dont j'adore les incursions savantes dans mon monde, celui des cinéphiles), les autres écrivains espagnols contemporains restent peu traduits.
Et que dire de l'histoire de la pensée et de la littérature espagnole ? Oui Garcia Lorca est célébré chez nous. Mais qui connait Ramon Sender? Ou le catalan Josep Pla, dont le style clair et l'ironie légère sont un ravissement ? Et parmi les philosophes, qui connait et a lu José Ortega Y Gasset, l'un des plus splendides représentants du libéralisme politique ? Même s'il devient lentement moins invisible depuis que Les belles lettres ont enfin réédité La révolte des masses...
A la mi-septembre 2011, sous le titre de Escritores en la Sombra, écrivains dans l'ombre, Babelia, le supplément culturel d'El Pais, présentait les romanciers Jaume Cabré, Gonzalo Hidalgo Bayal, Andres Trapiello, Esther Tusquets et quelques autres… En se plaignant qu'ils n'aient pas de lectorat à la taille de leur talent dans leur pays. Ici, en France en tout cas ils sont inconnus. Et pour ceux que je connais, Trapiello et Cabré, c'est bien dommage…
Les intellectuels espagnols connaissent souvent bien de leur côté la littérature française. Que personnellement je trouve largement moins passionnante que l'espagnole… La santé de Michel Houellebecq a fait cet été la matière de papiers dans la presse d'outre Pyrénées.
La vie artistique (à part peut être les arts plastiques) et de la pensée espagnole contemporaine sont largement absentes des préoccupations des cercles français… C'est bien dommage…
Il y a encore beaucoup à faire pour faire connaître ce qui se pense et s'écrit du côté de Madrid, Barcelone, ou Séville... Beaucoup à faire pour procurer du plaisir aux Français, lecteurs, cinéphiles, amoureux de l'histoire. Beaucoup à traduire et à diffuser…
Edouard Waintrop
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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