Celui dont on apprendra qu’il a décidé de se faire nommer Redo (Oder à l’enver) Hauptshammer rédige au déclin d’une vie tumultueuse l’histoire de sa vie. Il raconte comment, arrivé en Prusse, dans le village de Szonden sur la rive de l'Oder à la frontière avec la Pologne, il est entré en possession d’une terre libre donnée par un certain Magnus Duisdorf à la réputation sulfureuse dans le but de s’y installer. Malheureusement, un peu avant d’arriver, sa femme, une Espagnole surnommée Odra est morte, atteinte par la balle perdue d’un soldat français échappé de prison. Il décide de s’installer et son premier souci est de descendre de sa charette le cercueil de sa femme et de l’inhumer sur son terrain. Il l’installe provisoirement dans le cabanon rustique qui va avec, puis découvre en creusant un hussard prussien mort et congelé. A chacune de ses tentatives le nombre de soldats datant d’époques diverses et mystérieuses (certains du futur) double, 1, puis 2, puis 4, puis 8, puis 16, jusqu’au moment où il décidera de ne pas fouiller davantage de peur de se trouver avec 32 soldats de plus sur les bras, intuition confirmée par Isle. Au fil du roman, une série de personnages font leur apparition, le maire Altmayer, Udo, un étrange géant, monsieur Jakob, un historien qui devient son ami et son maître, Wreech, qui tient l’auberge, lieu névralgique de cette communauté, Von Geoffmann, le baron du village qui possède tout et sa fille Johanna qui tombera folle amoureuse de lui, Isle, une étrange voyante Albinos qui connaît le futur, et Hans son infatigable et fidèle voisin, qui a la mauvaise habitude de rentrer tard et ivre de la taverne. On découvre le passé de Redo et le secret bien gardé de ses origines : le bordel tenu à Vienne par sa mère Andrea Böhm dans lequel il servait de factotum et surtout le comptable, l’arrivée d’Odra, la petite prostituée espagnole dont il tombe éperdument amoureux, le propriétaire prussien qui cède sa terre sur l’Oder contre un sauf-conduit pour éviter la vengeance d’un puissant mauvais joueur, puis à la mort d’Andrea, le passage des amants par la France où ils se marient et le travail de Redo et d’Odra dans les vignes de Bourgogne, leur voyage en Prusse. 

Les principaux sujets du roman sont :

1. Comment se débarrasser de cadavres mystérieusement congelés dans sa terre, avec tout ce que cela suppose comme casse-tête administratif, moral, religieux, et comme épuisantes manipulations. Aucune solution n’arrivant, Redo décide de les jeter dans l’Oder, mais ils sont retenus par un barrage de castors, et il est obligé de les récupérer. Il décide de s’en servir comme épouvantails au grand dam du village qui dresse une clôture pour éviter qu’ils n’attirent l’attention. C’est la partie « fantastique » du roman.
2. L’amitié entre l’historien et Redo, qui se rencontrent à la taverne, ou se promènent. L’historien décide peu à peu de former intellectuellement son nouvel ami, de lui faire lire des œuvres difficiles. Ils partagent leur horreur de la guerre, son inutilité, une certaine vision de la politique. C’est la partie « intellectuelle du roman ».
3. La construction d’une ferme, son développement, l’acquisition de matériel, d’animaux, dans un but : développer la culture de la betterave. Les efforts déployés et l’amitié de Hans jouent un rôle décisif.
4. La relation entre le baron et Redo, ancien comptable reconverti en paysan libre, faite de services et d’intérêts communs qui redéfinissent subtilement les rapports sociaux.
5. Redro et les femmes : sa mère Andrea, les prostituées qui marquent toute sa vie, Odra (féminin d’Odro-Redo), la figure sombre et solaire dont la dépouille finalement enterrée sous la maison ne quitte jamais son esprit. Avec Jakob, Redo partage un célibat forcé et un amour de jeunesse unique. Les autres : l’albinos, la châtelaine, la servante.

Tous ces sujets tissent une trame narrative, riche et fascinante, écrite dans un espagnol d’une beauté et d’une subtilité remarquables. Très discrètement, à l’occasion de notes du traducteur, le lecteur découvre que le texte qu’il lit a été traduit en espagnol de l’allemand par une traductrice.

Analyse : Carlos Zañón dit dans Babelia : « La seule possibilité pour qu’Europe centrale ne soit pas parmi les meilleurs livres de l'année est que celui qui a fait ces listes, n'a clairement et simplement pas lu ce livre fascinant et fou. »

La qualité d’écriture et de composition est loin d’être la qualité principale de cette œuvre. C’est sa profondeur humaine, poétique, philosophique, historique qui contribue à faire de personnage travailleur, passionné, fidèle, secret, intelligent, habile le véritable héros d’un roman d’apprentissage. A la puissance d’une volonté de fer, il joint une humilité qui en fait l’ami exemplaire de deux figures pourtant opposées : le savant Jakob à qui il doit de savoir écrire et d’être capable à la fin de sa vie de faire le récit de ses mémoires et son voisin paysan Hans qui lui prête main forte en toute occasion, aide qui sera récompensée par un don inestimable : la moitié du travail de comptabilité que Redo accomplit pour le baron sera destinée à faire de Hans un paysan libre. Ces sujets se développent selon une trame narrative qui maintient an alerte le lecteur impatient de savoir comment Redo va se débarrasser des cadavres de soldats qui ne dégèlent pas, de connaître le mystérieux passé de Redo, son vrai nom, la façon dont il a acquis la terre, de savoir aussi s’il va réussir à asseoir sa fortune en cultivant la betterave.