Il paraît que le désir dure cent nuits, cent orgasmes et c’est fini. Viennent ensuite l’accoutumance, la routine et l’ennui. Il semblerait aussi – du moins l’a-t-on vu chez les rats et chez les oiseaux –, que le désir, même éteint, rejaillit avec l’arrivée d’une nouvelle rate ou poulette, peu importe laquelle, du moment qu’elle est nouvelle.
Voici donc le postulat de départ, celle d’une vérité animale qui taraude l’humanité depuis qu’elle s’est imposée la monogamie pour horizon, par ailleurs source infinie de conflits, avec autrui autant qu’avec soi-même.
Dès lors, s’interroge Luis García Martín, sommes-nous aussi fidèles que nous le prétendons ? Et plus encore, peut-on dissocier loyauté et fidélité ? C’est sur ces insolubles questions psychosexuelles que se penche l’auteur dans son huitième roman, conçu comme une enquête au long cours, chorale et protéiforme, extrêmement riche et qui se donne pour objectif de faire la lumière, toute la lumière, sur la réalité de notre supposée fidélité. Car, nous l’aurons compris, sur ce terrain-là, on ne saurait se fier à personne.
Nous écoutons ainsi Irene, une belle femme issue de la grande bourgeoisie madrilène, responsable d’une agence de détectives, aujourd’hui arrivée à l’automne de sa vie et qui se remémore son passé d’étudiante en psychologie comportementale à Chicago durant les années 1980. La rencontre charnelle et intellectuelle avec son professeur, qui lui fera découvrir tout un éventail de plaisirs insoupçonnés, ainsi que les recoins enfouis de sa sexualité, et qui lui parle de ces grandes expériences prouvant notre impossible fidélité. Puis, alors qu’elle commence à prendre goût à la diversité des rapports et des hommes – n’oubliant jamais de noter scrupuleusement le moindre détail sur leur anatomie, leur conversation et leurs prestations érotiques –, elle tombe sur Adam, un riche héritier américain, aussi sophistiqué dans la vie que bestial au lit. Marié, bien entendu. Et qui, grande nouveauté pour elle, rémunère généreusement chacune de leurs rencontres.
Commence alors une nouvelle étape pour celle qui s’intéresse de plus en plus à la psychocriminologie et aux affaires les plus sordides de l’histoire récente. Et c’est aussi à ce moment-là qu’elle rencontre Claudio, un étudiant argentin, issu du même monde, mais plus attiré par la musique que par ce destin tout tracé que conçoit pour lui son industriel de père, et qui mourra assassiné (par sa mère, afin de lui épargner les souffrances découlant à sa maladie) après avoir connu une enfance et jeunesse agitées. Irene s’avoue franchement amoureuse de Claudio, malgré son caractère impossible et ses pulsions autodestructrices, ce qui ne l’empêche pas de le tromper à l’occasion. Coincée entre l’amour et le désir, elle s’interroge sur la nature de nos rapports affectifs, sur les travers de notre « moi » social, sur la part de civilisation et d’animalité que nous renfermons.
Lorsque Irene et Adam se revoient des années plus tard, ce dernier lui raconte pourquoi et comment il a financé la plus grande enquête jamais réalisée sur la réalité de l’adultère et qui consiste, comble de l’audace, à espionner celles et ceux qui se déclarent fidèles à leurs conjoints. Une enquête ayant mobilisé quantité de détectives privés et impliquant quelques milliers d’individus, démontrant enfin ce que l’humanité n’a jamais osé s’avouer.
Cent nuits est un roman dense mêlant très adroitement récit et expériences psychologiques, interrogations cliniques et questionnements intimes, engagé dans une exploration décomplexée aux confins de notre liberté sexuelle, cherchant à comprendre, non sans une certaine dose d’obsession, si l’infidélité est une faute ou une fatalité.
L’écriture agile de Luisgé Martin, tout en maintenant un certain décorum, ne s’encombre pas de convenances et déploie un riche catalogue de pratiques érotiques intellectualisées qui occupent l’essentiel du livre, sorte de Cinquante nuances de Grey raconté par Catherine Millet. Un roman qui manie aussi bien le martinet que les concepts, qui emprunte à la non fiction autant qu’au polar et qui sait s’amuser en offrant certains de ces rapports d’enquête fictifs que l’auteur a confiés à l’imagination et au talent de ses camarades de plume, nommément Edurne Portela, Manuel Vilas, Sergio del Molino, Lara Moreno et José Ovejero.
Un page turner charpenté et capiteux, assurément licencieux, qui scandalisera les âmes prudes et captivera les esprits curieux.
Cien noches a reçu le très prestigieux Prix Herralde en 2020.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
SUITE
Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
SUITE
Catégorie
Bienvenue sur le site de New Spanish Books, un guide des...