Paru en 2017 en Espagne, le livre Clases de Chapín regroupe douze nouvelles écrites par Eduardo Halfon (né en 1971 au Guatemala) entre 2002 et 2007. Il se compose de trois parties, comprenant chacune quatre nouvelles: Clases de Machete, rassemblant des textes inédits, Clases de Hebreo et Clases de Dibujo, ces deux parties ayant déjà été publiées chacune sous forme de courts recueils, en 2008 et en 2009 chez AMG Editor.
Considérés par l’auteur comme des nouvelles « de formation », écrites avant la publication en 2008 du Boxeur polonais (livre grâce auquel il a atteint une certaine notoriété internationale) ces textes préfigurent de fait ce que sera l’oeuvre d’Halfon avec ses éléments récurrents.
L’écrivain explore ici le côté sombre du Guatemala, ses zones périphériques et ses populations en marge. C’est notamment le cas dans Clases de Chapin, où il met en scène un vieux marchand de tissu libanais immigré et malmené par la vie et sans cesse renvoyé à son statut d’étranger (Sacerdote). Ses textes soulignent la violence à l’oeuvre dans ce pays où il a grandi. Le viol d’une fillette dans un village (Muñequita), le bref kidnapping d’une adolescente dans la capitale (El buen machete), ou encore la menace qui pèse sur un touriste autrichien un peu trop aventureux (Mucho macho) sont abordés de manière aussi frontale que délicate, avec des pointes d’un humour tour à tour tranchant et bienveillant.
Halfon creuse ce sentiment constant d’être étranger au monde qui apparaît sous ses yeux. Il le fait souvent à hauteur d’enfant ou d’adolescent, de façon très adroite en narrant des épisodes à forte connotation autobiographique: le jeune narrateur de Polvo est emmené par un oncle, pompier volontaire, visiter les quartiers de sa ville, moins favorisés que le sien, où les ravages d’un tremblement de terre sont les plus importants. De la même façon, le jeune protagoniste de « Corazon no moleste » découvre avec horreur les malheurs qui frappent une famille d’Indigènes, dont le père, norvégien, était employé dans l’usine de son propre père.
Ce regard distant permet à Halfon de questionner aussi sa propre identité juive -et latino-, thème constant dans le reste de ses livres. Les nouvelles de la troisième partie disent toutes cette impression d’être étranger à sa propre religion tout en étant étranger à son propre pays. Dans « Luto », un jeune garçon -là encore- découvre avec inquiétude les rites du deuil juif. L’ombre de la Shoah plane une nouvelle fois dans cette quête identitaire. « Clases de hebreo » interroge ainsi l’innocence d’un autre jeune garçon, qui croit bien faire en recouvrant d’étoiles de David la voiture de collection d’un voisin allemand et nostalgique du nazisme. Tandis que El lenguaje de los elefantes est le récit bouleversant de la rencontre entre un jeune homme, juif, et le père, juif lui aussi, d’un ami avec lequel ce père est brouillé. Ce vieil homme forcera le visiteur, qui renie son judaïsme, à prononcer les prières du Shabbat avec lui.
Brèves, incisives, enlevées et très attachantes, ces nouvelles abordent en peu de mots certaines de ces questions existentielles. L’écriture est simple, mais très précise et les scènes décrites sont très visuelles et particulièrement évocatrices. Les dialogues, vivants, sonnent juste. L’écrivain a un sens éprouvé du suspense et de la progression dramatique. Tout le talent d’Halfon s’annonce dans ces premiers textes qui sont bien plus que des brouillons: des esquisses qu’il reprendra par la suite pour leur donner encore plus de relief et d’intensité.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
SUITE
Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
SUITE
Catégorie
Bienvenue sur le site de New Spanish Books, un guide des...