Un jour qu’il cuve son ennui et sa mauvaise humeur au comptoir d’un PMU, s’en prenant au barman et déblatérant contre tous ces gens – les politiques, les écologistes, les journalistes –, Luis, dit le « Castor », voit son destin basculer avec l’apparition d’un petit homme nerveux, aux « cheveux frisés comme l’astrakan », lequel, émergeant d’une épaisse brume éthylique, tient à lui rendre son portefeuille. Il y a méprise, de toute évidence. Une confusion dont « le Castor » ne peut pas même commencer à soupçonner l’ampleur…
En s’attachant les services d’un humoriste de télévision blasé et bedonnant comme anti-héro de sa novella trépidante et débridée, la très madrilène Esther García Llovet affiche sans détours ses intentions caustiques dans cette comédie noire déjantée. À plus forte raison lorsqu’elle fait entrer Julio, son sosie parfait, et légitime propriétaire du portefeuille, un garçon de café tout juste débarqué du fin fond de l’Andalousie, niais à souhait, et que notre comique grinçant finit par débusquer, enthousiaste à l’idée de se faire remplacer lors de ses obligations mondaines et, pourquoi pas, sur le plateau d’une nouvelle série télé, navrante, de toute évidence.
S’étant fait licencié à cause de lui, Julio accepte le marché et s’installe chez le Castor. L’appartement, immense et mal géré, surplombe l’une des avenues les plus cossues de la capitale, acheté non pas en faisant rire son monde – son petit succès ne s’y prête pas –, mais en gagnant à la loterie presque malgré lui, quoiqu’il ne comprenne pas « pourquoi il n’y a pratiquement personne dans ces rues si jolies, alors qu’il y a plein de monde ailleurs, comme dans la rue Bravo Murillo, par exemple, ça le dépasse ».
Mais au même moment, le Castor commence à subir le harcèlement incessant de la part d’une inconnue, manifestement une femme d’origine chinoise, qui le suit, tambourine à sa porte tard dans la nuit, lui laisse des messages sanguinolents…
Mort de trouille, le Castor tente d’échapper à sa poursuivante, tandis que Julio échoue à contenter la prod, alors qu’il s’efforce de faire tout ce que lui dit la réalisatrice, « mais aussi ce que te dit le cadreur, ce que te dit la scripte, ce que te dit l’assistant, ce que te dit le photographe de tournage. Et même ce que te dit la fille de la cantine », s’agace le comique.
Puis un beau jour, celui-ci se fait enlever et cuisiner par une femme de poigne, une veuve implacable dont il tombera éperdument amoureux au point de la suivre dans son délire entrepreneurial : l’organisation de croisières fluviales à l’intention de tous ces retraités qui ne savent plus quoi faire de leur argent et de leur temps libre. Loin du patron chinois qu’elle a arnaqué en faisant porter le chapeau au pauvre Julio (rentré chez lui maintenant, car dégoûté de la vie dans la capitale), cible du courroux de la jeune chinoise, laquelle, nous l’aurons compris s’est trompée de bonhomme.
Pour son troisième roman, Esther García Llovet, nous offre le récit désopilant d’une cavale dans les quartiers chics de Madrid, quelque part entre Almodovar et les frères Cohen, remettant au goût du jour – ainsi qu’un certain Echenoz et sa Vie de Gérard Fulmard, livre avec lequel il partage quantité de traits communs – le dispositif connu mais archi efficace du sosie en délicatesse avec la pègre.
La rencontre explosive entre la langueur aigre des nouveaux riches et l’ambition vorace des migrants chinois est l’occasion pour l’autrice de régler ses comptes avec toute une frange de cette Espagne sous tension, source inépuisable de personnages hauts en couleurs.
Une histoire à dormir debout, survitaminée, cruelle dans ses descriptions et qui nous arrache un sourire méchant à chaque page. Un talent comique exceptionnel.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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