Lecteur: Anne Calmels
Le hasard n’existe pas. Quand comme le narrateur, on est né à Ventoso, un village battu par les vents dans une vallée encaissée, on sait comprendre les liens de cause à effet. Le vent ôte les pétales aux marguerites et les feuilles aux arbres dans un automne infini. Tout est incliné : les ombres, les lampadaires, les bâtiments, les habitants. Les enfants font voler leurs cerfs-volants, ils leur attachent des hameçons pour pêcher les lettres que le vent a emportées et posées sur les toits. Promesses et insultes ne restent pas, les baisers sifflent. La belle Racha, l’amoureuse du narrateur, a même deux pupilles au même œil à cause d’un coup de vent.
Un jour, un barrage est construit. Le vent tombe, le printemps arrive, les pupilles de Racha se replacent, les marguerites ont de nouveau des pétales. Racha en effeuille une : il m’aime, un peu, beaucoup. Pas du tout ! Elle quitte le narrateur, qui insiste pour la retenir : il ne faut pas croire au hasard…
L’album est séduisant. Son format particulier, étroit, tout en hauteur, propose en page de droite une illustration en noir et blanc, très graphique, adaptée au format, stylisée, à la fois simple et sophistiquée. Le trait est sûr, les aplats d’encre noire pleins, le dessin très géométrique. Les personnages, anonymes, forment de petites silhouettes qui paraissent minuscules dans des espaces plus complexes urbains ou naturels, toujours très structurés.
Au début, au milieu et à la fin du livre, sont présentées des collections de cerfs-volants, de girouettes et de moulins à vent du monde entier.
La rigidité et le caractère un peu froid du dessin sont équilibrés, en page de gauche, par un texte sensible, simple et poétique, empreint de fantaisie et qui instille une réflexion sur l’influence de l’environnement sur l’homme et sur le monde perdu de l’enfance. Le ton, empreint d’oralité, est celui de la confidence à la première personne. Le village perd son caractère, le narrateur perd son amour dans une fin surprenante et astucieuse.
Il est quelquefois ardu d’interpréter les illustrations et de les lier au texte, mais l’ensemble laisse une impression forte, esthétique, et dégage un charme indéniable.