Le roman de Julio José Ordovás, Paraíso Alto, est un roman fantastique, dont le narrateur raconte sa propre histoire sur un registre extrêmement poétique. Après avoir atteint le village de Paraíso Alto pour mettre fin à ses jours, une pulsion, ou la magie du lieu, empêche le narrateur de passer à l’acte, et c’est comme si, devenu un ange (un ange déchu se penchant sur la mort qui hante chacun de nous), il avait été investi du rôle de passeur. Semblable au Charon de la mythologie, le nocher des enfers, régnant en maître sur les marais de l’Achéron, il accueillera lui-même les personnages venus à Paraíso Alto pour mettre un terme à leur vie terrestre.
Dès-lors le roman prend une tournure fantastique et chacun des chapitres aborde l’histoire d’un nouveau voyageur candidat au suicide. Parmi elles et eux, il y a Walter Martínez, un solide banquier, venu brûler tout l’argent qu’il a retiré à la banque avant de disparaître lui-même par sa propre volonté. Puis ce sera le tour d’une jeune fille qui marche sur les mains, corps tatoué de chauves-souris devenant réelles lorsqu’elle décide de se baigner une dernière fois dans les eaux de la rivière avant de se suicider à son tour. Ainsi de suite, nous voyons apparaître à Paraíso Alto une collection de personnages chimériques aussi hétéroclite qu’Andrew Diz, vieux magicien venu y réaliser son dernier tour, Brinda Star, ancienne actrice de films pornographiques, Carmen devenu vieille, ancienne amoureuse du narrateur qui n’a aucun mal à la reconnaître, juchée sur son cheval qui n’obéit qu’à elle… Jusqu’à la fin les personnages se succèdent ouvrant de nouveaux mondes et de nouvelles illusions dans ce village aux mille mirages, battu par des vents ignorés, et où la rivière qui le traverse emporte sans douleur ni regret les âmes des morts.
Julio José Ordovás a réussi avec ce livre un récit d’une poésie remarquable où le mystère de la disparition est mis en scène de façon exceptionnelle et plonge le lecteur (à la suite du narrateur lui-même) dans une nostalgie faite d’apparitions et de souvenirs vécus, qui deviennent, par une étonnante magie, les siens. On ne sort pas indemne de ce livre dont le protagoniste principal est finalement la littérature et la poésie vécue à fleur de peau.