Lecteur: Andre Gabastou
Jorge Eduardo Benavides est né à Arequipa, Pérou, en 1964, et a fait des études de droit et de sciences politiques à Lima. De 1991 à 2002, il a habité à Ténérife où il dirigeait un atelier d’écriture. Il collabore avec des journaux ou des magazines et il a publié de nombreux livres dont le dernier El enigma del convento (L’énigme du couvent) vient de remporter le prix Torrente Ballester.
Inconnu en France, il avait toutefois publié un roman, Les années inutiles, dans une traduction de Claude Murcia, aux éditions Balland en 2004, ouvrage magistral sur une génération perdue qui était passé relativement inaperçu même s’il proposait une plongée saisissante dans les arcanes du pouvoir dans le Pérou d’aujourd’hui.
La paz de los vencidos a obtenu en 2009 le XII Premio de Novela corta Julio Ramón Ribeyro et on se réjouit de retrouver Benavides à côté de l’auteur d’un journal qui compte pour une exception dans les lettres de langue espagnole.
Sans doute inspiré par sa vie puisqu’il a séjourné aux îles Canaries de 1991 à 2002, Jorge E. Benavides tient dans La gloria de los vencidos, le journal d’exil d’un double de lui-même. Il dit : « Je me sens comme ces exilés volontaires — à supposer qu’il n’y ait pas de contradiction dans la phrase — qui ne trouvent la paix nulle part parce qu’au fond, ils n’ont pas coupé les amarres avec la seule chose avec laquelle il nous est impossible de rompre : nous-mêmes ».
Le personnage principal du livre est un immigré péruvien établi à Ténérife qui commence à travailler dans un local de machines à sous dans lequel tout est antipathique : le travail est inintéressant, la clientèle clairsemée et marginale, les dictats du patron interdisent de lire pendant les heures de travail. Ses jours se déroulent sans espoir d’amélioration et les personnages qui l’entourent lui ressemblent. Par exemple ceux qui lui parlent : un vieux professeur qui n’a plus d’élèves et qu’il prend en pitié, un vieil ami qui le renvoie à un passé pénible, un écrivain éclipsé par sa seule œuvre, une belle jeune fille aux intentions étranges, l’ombre d’un ancien amour…
Ces personnages survivent et intriguent, s’intéressant à de petits événements dérisoires, même quand ils concernent la littérature.
Mais l’exceptionnelle réussite de ce journal est dans la dilatation ou l’extinction des sens en fonction de la place que donne l’exil. Il y a des passages inoubliables sur les voix réelles ou fictives, créant un univers fantastique, qu’entend le narrateur. Il y aussi beaucoup de whisky et du jazz, du meilleur.
Le narrateur finit par reprendre l’avion. À la question : « Regretterai-je Ténériffe ? », il répond : « Je suppose que oui ».
Tels sont les derniers mots secs de ce texte captivant qu’on aimerait voir dans les vitrines de nos librairies.