Sous Franco, Manuel Vazquez Gallego est un grand auteur de bédé populaire, sinon le plus populaire, en particulier avec Les sœurs Gilda, publié à partir de 1949 et inspiré par Gilda, le film de Charles Vidor avec Rita Hayworth. Ceux qui ont lu les romans de Juan Marsé savent à quel point le cinéma américain pouvait faire rêver les jeunes Espagnols cloîtrés dans le sombre monastère franquiste. C’est en 1957, année où la gloire de Vaquez est installée, que Paco Sordo imagine l’histoire d’un jeune dessinateur qui a réellement existé, Miguel Gorriaga (lequel ressemble ici à un personnage de Vasquez, avec ses rondeurs chauves et son gros nez de clown ébauché). Celui-ci se présente chez l’éditeur de Vazquez, Rafael Gonzalez, lequel, après avoir rejeté ses dessins, lui demande de revenir avec des planches... dans le style de Vazquez. Gorriaga va séquestrer Vazquez et exiger de lui des dessins que lui-même scénarise, tout cela sur le mode comique. Dans la réalité, Gorriaga dessinait un peu comme Vazquez, mais ses récits et ses bulles, délirants et iconoclastes, amenaient les dessins et les lecteurs vers un univers nettement plus libertaire.
Paco Sordo se sert de l’histoire qu’il invente pour raconter l’histoire véritable de Vazquez, de Gorriaga qui va devenir un dessinateur essentiel, de la bande dessinée espagnole à cette époque. Le récit imaginaire est régulièrement interrompu par deux pages d’entretiens dessinés avec des spécialistes du roman graphique ou des témoins de l’époque : la fiction est éclairée -et comme libérée- par le documentaire ; le rappel des faits permet à l’imagination de s’en émanciper, comme un chien courant dans toutes les directions autour de son maître. El Pacto rend ainsi hommage, par sa forme, à la manière dont Gorriega a perverti et libéré l’univers de la bande dessinée espagnole sous Franco. On apprend beaucoup sur cet univers.
Par exemple que le véritable Vazquez disparaissait régulièrement (avec une fille, en prison, dans des bars, n’importe où, en envoyant la note à son éditeur) et que son éditeur, pour remplir les pages en son absence, demandait à d’autres dessinateurs de jouer, sous son nom, les bouche-trous. Mais Vazquez était irremplaçable et la différence se sentait, jusqu’à ce qu’une nouvelle génération, celle de Gorriega, arrive. Le héros de Paco Sordo commence d’ailleurs pas imiter le trait de Vazquez sans y parvenir et, désespéré, se met la tête dans le four. Le petit personnage qui l’accompagne en voltigeant autour de lui, le canard gitan, sorte de Gimini Criquet teigneux, surgit et l’engueule : « Le pacte, ce n’était pas que nous t’aidons et ensuite tu nous donnes ton âme ? Faire les choses dans l’ordre, c’est trop te demander ? »
El Pacto est un bon livre, à la fois érudit et plaisant, qui éclaire par l’information et l’imagination sur l’histoire du roman graphique sous Franco. Il a reçu en Espagne le « prix national du comic » l’an dernier.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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