Alba, la narratrice du premier roman d’Andrea Genovart est une jeune barcelonaise d’une trentaine d’années complètement désorientée, mais avec un sens de l’humour remarquable et une espièglerie à fleur de peau.
Son roman Consum preferent, n’est pas de ceux qu’on résume aisément, on ne peut pas le résumer du tout, car il est constitué de réflexions qui s’accumulent pêle-mêle et en désordre dans la cervelle d’Alba à propos d’une Barcelone postpandémique devenue impossible à définir et où, pour elle qui ne sait pas très bien qui elle est non plus, il ne fait pas bon vivre.
Dans une prose magnifiquement dérangeante, Alba déplore de vivre dans une époque d’une banalité terrible, dans une ville qui prend l’eau de toutes parts, dit-elle, où il semblerait qu’il n’y ait plus rien à en attendre tellement le capitalisme et la consommation à tout crin ont figé les valeurs et où tout se pense aussi bien sous le dictat de l’abondance (miroir aux alouettes), que sous celui des contradictions et de la précarité : la précarité dans le travail, dans les relations amicales ou amoureuses, la précarité dans la politique, enfin la précarité de la vie elle-même. À tel point qu’Alba finit par ne plus se reconnaître elle-même. Car pour se reconnaître, il faudrait se positionner de façon radicale, concilier les contradictions c’est-à-dire les penser. Chose apparemment impossible.
Alors, à travers un humour acide et caustique, Alba invente un langage qui à travers un ensemble de langues (le catalan se mêlant au castillan qui lui-même se mêle à l’anglais, etc.) et plusieurs styles, niveaux et types de textes (où une recette de cuisine jouxte, le passage d’un texte de Quim Monzo, un fragment de pièce de théâtre, un texte officiel, ou une réflexion de Merce Rodoreda) voudrait penser une nouvelle identité. Et Alba se noie alors dans une remarquable logorrhée qui met en évidence de multiples identifications, de multiples positionnements, générant à leur tour de multiples contradictions qui se juxtaposent sans réflexion et mettent en scène un vrai malaise générationnel. Vraiment générationnel ? C. Q. F. D.
Alba reproduit en vrac des pensées incontrôlables à travers une voix dépourvue de filtre, qui finit par la pousser à hurler à s’en déchirer la gorge, à éructer, et à vomir son mal être dans cette société qui refuse de s’identifier et ne se connaît pas elle-même, car vomir c’est enfin se libérer. Et ces vomissements dont parle Alba, qui semblent être ceux de toute une génération de trentenaires, constituent en tout cas la métaphore de l’ensemble de Consum preferent. Traductions possibles : À consommer de préférence ou Date de péremption.