Lecteur : Eric Reyes Roher
Javier veut attaquer ses parents en justice. Sans emploi et sans famille — sa femme étant partie avec ses filles –, il considère qu’ils sont responsables, du moins en partie, de sa déroute, n’ayant su lui fournir les armes et la préparation nécessaires pour affronter la vie. Il voudrait, au passage, attaquer l’État et le système éducatif. Même s’il admet volontiers que ses parents puissent, par ailleurs, être des victimes au même titre. Tandis que ses amis discutent la pertinence et la validité d’une telle action, sans jamais parvenir à se décider, ils se fixent comme objectif d’écrire une pièce de théâtre pour Malva, afin de relancer sa carrière de comédienne lorsqu’elle aura surmonté ses pépins de santé. Dans deux ans environs, dit-elle. Autour d’eux, Noe, anciennement Noelia, un homme trans, secouriste en montagne, qui s’échine à retrouver les personnes disparues ; Vassili, un artiste plasticien en quête du concept qui lui permettra de percer enfin ; Sergio, le prof de lycée, convaincu qu’il lui incombe de vaincre le capitalisme, par l’étude méthodique des maths et des textes sacrés notamment ; puis Olga, sa compagne, dix fois plus brillante que lui, militante de quartier, pourtant tétanisée face à l’avenir et maman frustrée.
En parlant à la première personne du pluriel, par l’emploi d’un « nous » délicat qui instaure le collectif par l’agrégation d’individualités en contact, la narratrice de ce roman assume la voix de toute une génération, celle des enfants nés au moment de la transition espagnole, des quadragénaires portés jusque là par un élan démocratique à bout de souffle, aujourd’hui confrontés à l’inertie de leurs volontés atrophiées. Et qui semblent faire porter le chapeau aux autres : aux parents, à l’État, au capitalisme…
Non sans surprise, c’est la déclaration tonitruante de Javier – « génération déclarative », semble dire l’autrice – qui ouvre le texte et inaugure cette énonciation pinailleuse, sorte de vortex contradictoire rendant compte des craintes et des envies qui occupent le groupe, de son impuissance obstinée car incapable de ne jamais rien décider et trouvant toujours à redire. Deux ans, s’accorde-t-on pour réussir : une échéance raisonnable qui traduit pourtant l’impossible, la prudence paralysante, l’échec annoncé.
Le très grand talent de Sònia Hernández consiste à saisir cette appréhension constitutive de sa génération en quête de « retentissement », quoique médiocre et banale comme tout le monde ; à reproduire la mécanique discursive qui sombre coup sur coup dans l’aporie et l’immobilisme, tournant inlassablement en rond comme dans un cauchemar beckettien. Le lieu de l’attente est la biopsie mordante et drôle d’une société espagnole indignée et bruyante, « cherchant à gagner du temps, ou à en perdre », indécise car n’ayant pas à décider.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
SUITE
Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
SUITE
Catégorie
Bienvenue sur le site de New Spanish Books, un guide des...