Auteur José Ángel Mañas
Lecteur Isabelle Gugnon
Carlos est un fils à papa d’une vingtaine d’années qui passe son été chez lui à Madrid, et va de fête en fête, prend de la cocaïne, boit du whisky et fume de la marihuana et retrouve ses amis Roberto, Pedro et Manolo à la brasserie Kronen. Il se lève à point d’heures, va de son lit à la piscine de son jardin, se déplace en voiture, vit de l’argent de ses parents, estimant qu’il l’a bien mérité après avoir réussi sa première année d’études. Pour lui, toutes les filles sont des « truies », il refuse de s’attacher et cherche non pas à les séduire, mais à abuser d’elles.
Le cynisme est de mise dans ce petit groupe d’amis, mais pour ce qui est de l’insensibilité au monde, Carlos remporte la palme : la mort de son grand-père ne l’affecte guère, il ne comprend pas qu’on puisse tomber amoureux et pousse ses camarades à aller toujours plus loin, dans une sorte de défi lancé aux conventions sociales. Un jour, il va jusqu’à masturber son Roberto et s’aperçoit qu’il est homo. Le soir de l’anniversaire de Fierro qui, lui, a fait son coming-out, il l’attache, et avec l’aide des autres, lui fait boire du whisky en introduisant un entonnoir dans sa bouche. Fierro est transféré à l’hôpital et meurt dans la nuit. Le lendemain, Carlos part dans la maison de campagne de ses parents, à Santander, et refuse de lire la lettre que Roberto lui envoie pour lui apprendre la mort du jeune homme. Le roman se conclut sur une séance de psychanalyse entre Roberto et son praticien. Le post-adolescent lui avoue qu’ils ont tué Fierro, le psy ne le croit qu’à moitié et lui annonce que l’heure est passée.
Un roman qui a fait mouche à sa sortie, en 1994, au point de se voir décerner le prix Nadal. Il vient d’être réédité en Espagne. Il a inspiré au réalisateur Montxo Armendáriz le film éponyme sorti en 1995. José Ángel Mañas avait vingt-deux ans quand il a écrit cette histoire qui fait froid dans le dos et est une bonne illustration de la jeunesse dorée et sans scrupule de l’Espagne en crise. On assimile l’auteur au néoréalisme d’alors, représenté par Lay Loriga et Lucia Etxebarria. Entièrement rédigé au présent, extrêmement dialogué et argotique, Kronen est volontairement dérangeant. Tout y est très cru : les scènes de sexe et de soûlerie, la violence dans les relations humaines, l’hommage collectif permanent rendu à Bateman, le psychopathe d’American psycho, de Bret Easton Ellis. Ce texte est représentatif d’une certaine époque. Il a du reste été qualifié de « roman punk » par la critique.
José Ángel Mañas a écrit une dizaine d’autres romans depuis lors, trois d’entre eux ont été publiés aux éditions Métailié et un quatrième chez Anacharsis.