Lecteur: Antje Sainte-Rose
La belle cubaine, qui donne le titre du roman, n’est pas une femme mais une vieille mélodie des îles Caraïbes. Elle symbolise la promesse d’un amour et d’une vie heureuse, et la nostalgie d’un paradis entr’aperçu mais jamais habité. C’est aussi la mélodie de José White, reprise par Fernando Trueba pour la bande sonore de « Chico y Rita ».
Ne semble rester de l’amour que la tristesse des peep show, réduit à un simple acte mécanique, sans tendresse, sans magie, sans futur, comme illustrée par la couverture du livre et le premier chapitre.
Un jeune couple, Lara et Gustavo Sánchez, arrivent d’Espagne à New York, la tête pleine de projets, elle amoureuse de littérature et surtout de son mari écrivain en herbe, lui, décidé à conquérir le monde (au moins celui des lettres). Mais le contraste entre le New York éblouissant des films et la réalité bien plus dure devient vite visible. Lara et Gustavo croisent le chemin d’un certain José Maria Conget, gestionnaire culturel de l’Institut Cervantes, qui est instantanément touché par l’innocence et la beauté de Lara, puis, dans un deuxième temps, surpris par la jeunesse des deux amants. Il les met en contact avec Rubén Salas, un écrivain vieillissant, qui est lui aussi surpris par leur jeune âge, et par la beauté de Lara. Lara, qui lui rappelle un ancien amour – Nadia - , devient sa protégée. De son côté Gustavo verra sa nouvelle vie new yorkaise perturbée par Nilda, professeure latino-américaine. Deux générations, l’innocence d’un côté, l’expérience, et avec elle les blessures, les regrets, la culpabilité, de l’autre : Rubén cache un passé chargé de culpabilité, qui pourtant ne le lâche jamais tout à fait, Nilda a connu les horreurs de la guerre. Ainsi, la Bella Cubana, n’est pas seulement une histoire d’amour entre deux jeunes espagnols venus à New York, avec une green card gagnée à la loterie, mais aussi une histoire de souvenirs, de trahison, de jalousie, de ruptures, et qui démontre l’impossibilité de changer le passé ou d’échapper aux conséquences du passé – incarné par Nadia, l’amour passé (impossible ?) de Rubén.
D’autres personnages du roman sont des personnes réelles, comme celles que l’auteur a connues quand il travaillait lui-même à l’Institut Cervantes à New York, ou celle de sa femme Maribel Cruzado à qui est dédié un chapitre entier.
Mais c’est surtout la musique qui tient un rôle central: «Creo que Cernuda cuenta en alguna página que un santón musulmán definía la música como el llanto de Satanás al enamorarse de la belleza del mundo y no poder retenerla. » (Je crois que Cernuda a écrit quelque part qu’un santon musulman définissait la musique comme les pleurs de Satan, en train de tomber amoureux de la beauté du monde sans pouvoir la retenir). Voilà un exemple de la poésie, du style et de l’élégance de l’écriture de José Maria Conget, qui tout en proposant une écriture contemporaine, alternant les voix narratives de Gustavo, Lara et surtout Rubén, s’impose comme véritable maître des mots. La beauté qui à la fois est source d’amour et de tristesse, l’innocence de la jeunesse et l’amertume de l’expérience, rêve et réalité, douceur des promesses et nostalgie des opportunités ratées – voilà les tensions qui traversent ce roman construit en contrepoints.
Un très très beau roman, à lire, à déguster, en écoutant « La Bella Cubana »….
José María Conget est né en 1948 à Saragosse. Il a fait des études de Philosophie et de Lettres, et travaillé comme administrateur culturel et enseignant en Espagne, Ecosse, Peur, Angleterre, USA et en France. Il vit actuellement à Séville. Il publie des romans et de récits, et est passionné de cinéma et de Bande Dessinée. Il a reçu le « Premio de las Letras Aragonesas » en 2007 pour l’ensemble de son œuvre.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
SUITE
Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
SUITE
Catégorie
Bienvenue sur le site de New Spanish Books, un guide des...