Lecteur: François-Michel Durazzo
Dans une contrée montagneuse des environs de Valence nommé El Maestrat, dans les années 47-51, une famille de paysans se trouve prise entre deux camps adverses, les maquisards républicains d’un côté, la garde civil d’un autre. Le père de famille, soupçonné d’être du côté des maquisards, a été assassiné par un garde civil. Dans ce monde, privé de ses hommes partis combattre, souvent morts, Teresa, la fille, entretient une relation ambiguë avec un maquisard surnommé Ferroviari (« le Cheminot ») ayant changé de camp, qui va se terminer de façon dramatique. Goriet, diminutif de Gregori, le fils au caractère entier et austère, est le narrateur des faits, une fois âgé, dont il a été témoin quand il avait douze ans, d’une histoire qui révèle les secrets du monde qui l’entoure à mesure qu’il les perce au fil des pages, grâce au travail de la mémoire et à l’instruction et la culture qu’il doit à don Arcadi, son maître d’école, un intellectuel exilé dans la montagne qui fait contrepoids au médecin de droite.
Martí Domínguez s’était auparavant essentiellement intéressé à de grandes figures de la pensée ou de la littérature – Voltaire, Goethe, Buffon, Cézanne, Lucrèce – Avec La Sega, c’est l’histoire moderne dans laquelle il prend pied, à partir de la découverte fortuite d’armes – un Mauser et deux baïonnettes – rencontrées par hasard dans un mas qu’en 1998 il a acquis à Penyagolosa. La présence de cette arme le mène à enquêter et à faire parler les paysans des environs qui peu à peu lui racontent leurs souvenirs d’enfance, notamment les membres d’un groupe de travail sur la mémoire des années noires du franquisme.
Ce sont ces regards d’être blessés dans leur enfance qui lui fournissent la matière d’un livre. Un de plus sur la période récente, dira-ton, une voix de plus qui contribue à ce qu’on a appelé en Espagne la « récupération de la mémoire historique ». Très loin donc du roman d’imagination, Martí Domínguez qui livre ici une enquête romancée l’est aussi du « beau style », voire du style tout simplement. Il vise l’efficacité dans des phrases courtes, incisives, proche du journalisme. On pourrait lui reprocher de céder, tout en évitant soigneusement les stéréotypes qui opposent les bons républicains aux méchants franquistes, à la mise en scène de la violence, de la peur qui se répand partout, de la répression aveugle, de la cruauté exercée par la garde civile contre des paysans qui restent malgré tout sur leur terre, convaincus que la quitter les conduirait à la misère et que rester, résister au péril de leur vie est la seule manière de préserver leur liberté au fil des moments qui rythme l’année : la Saint Antoine, l’abattage du porc, les bals, la confection du pain, mille superstitions qui contribuent aussi à donner une valeur ethnographique et documentaire à ce travail, construit de manière circulaire : une partie de la scène tragique qui referme le livre ouvre le roman pour en faire le fil conducteur d’une histoire d’amour.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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