Lecteur: Delphine Valentin
Berta Vias Mahou est diplômée d’histoire ancienne et traductrice de l’allemand. Elle a traduit entre autres Stephan Zweig, Joeph Roth et Goethe, et son œuvre en tant qu’écrivain confirme cet intérêt tout particulier pour la culture d’Europe centrale et les événements qui ont marqué son histoire.
C’est le cas d’ailleurs de Pozos de la nieve, ce roman qui mêle guerre civile espagnole et montée du nazisme en Allemagne à travers l’histoire d’une famille, racontée dans le désordre des souvenirs et de la mémoire.
Tout commence dans un cimetière de Cuacos de Yuste en Espagne, où sont enterrés vingt-six soldats allemands de la Première Guerre mondiale et cent cinquante-quatre de la Seconde. Un homme lit les noms et les dates figurant sur les stèles. Il s’agit de Samuel, qui s’apprête à démêler les ramifications de son arbre généalogique, à fouiller le passé, l’itinéraire d’une famille tout au long du vingtième siècle et de ses « passions irrationnelles ».
Le récit part de l’arrière-grand-père de Nüremberg qui s’installe en 1916 à Madrid pour travailler dans une production de bière. Plus tard, sa fille Bertha épousera le fils du patron avec qui elle aura deux enfants, qu’elle emmène dans les années 30 en Allemagne pour échapper aux dangers et à la folie de la guerre civile. Quant à son autre fille, Klara, indépendante et rebelle, elle sauve Julio, fils de républicains assassinés par leur propre camp, de la balle qui l’a atteint. Elle aura avec lui un fils, le petit Hermann, avant que Julio ne quitte définitivement l’Espagne, traversant le Portugal et la France, pour finalement trouver la mort dans le camp de Schaffhausen.
Cette famille, comme toutes les familles, est pleine de mystères et cache le lourd secret d’un meurtre que Samuel, à travers cartes, lettres, journaux et témoignages, finit par percer, tout en retraçant le destin de personnages qui incarnent les diverses facettes de l’héroïsme, dont celui de survivre dans des temps où la haine et la peur dominent.
Il n’y a aucun manichéisme dans ce roman, mais des destins perçus dans toute leur complexité intime — particulièrement bien mise en relief par le personnage de Klara, incarnation de la générosité, dont on découvre à la fin du livre qu’elle a pris une part active à l’organisation secrète Hilfsverein, accueillant les nazis en Espagne après la fin de la guerre, sous la protection de Franco… Berta Vias Mahou y mène une réflexion nuancée sur le bien et le mal, et sur la genèse des choix qui construisent nos destins et ceux d’une nation.
Le tissage narratif complexe mais d’un grand équilibre est soutenu par une belle écriture, égrenant lyrisme et retenue, qui crée une vraie intensité dramatique. Épopée familiale, roman noir et à suspense, Pozos de la nieve est un texte riche qui devrait pouvoir trouver son lectorat français.