Lecteur: Delphine VALENTIN
Papel picado se déroule entre 1977 y 1983 en Argentine et sur les terres d’exil de ses personnages principaux, Mariana, el Negro et Cesare d’Amato. Mariana, jeune femme révoltée de vingt-trois que rien n’arrête, et El Negro, son compagnon de lutte et de vie, plus flegmatique mais tout aussi engagé, sont du côté des « subversifs », des « guérilleros terroristes gauchistes » luttant contre Videla et ses sbires, alors que Cesare (nom de guerre: Puma), le troisième personnage principal de ce roman, est membre d’un des comités de paramilitaires et tortionnaires qui luttent contre ces « éléments subversifs ».
Chargé par son chef de faire disparaître Mariana, il échoue lamentablement sa prise au milieu d’un bus bondé, ce qui lui vaut une bonne séance d’humiliation. Pour Mariana et El Negro, il est quand même temps de prendre la fuite et de rejoindre l’Europe. Puis Cesare connaît de nouveau l’échec dans un minable projet d’enlèvement par lequel il espère prendre sa part du butin de la répression. Il se trouve à son tour forcé à l’exil.
D’un chapitre à l’autre, les deux points de vue sont proposés au lecteur: celui du couple tout au long de son exil en Europe, où, las de faire office de « latinos de service », ils décident de s’envoler pour le Mexique, et celui de Cesare dans ses errances et ses choix stratégiques plus ou moins fumeux. Le hasard confrontera à nouveau les trois protagonistes au Mexique, pour une nouvelle séance d’humiliation jubilatoire du tortionnaire…
Papel picado, bien que bref, n’est pas un roman linéaire – il fonctionne plus par à-coups dans le temps et à-coups géographiques, suivant les chemins des uns et des autres. Mélangeant fiction et réalité, il apporte des informations précises sur divers épisodes de la dictature, telle la fameuse Opération Condor, cette campagne antiguérilla durant laquelle divers pays d’Amérique latine ont envoyé des agents secrets aux trousses des dissidents politiques jusqu’en Europe. En Argentine plus particulièrement, l’année 1976 marque une sorte de point d’orgue dans la folie meurtrière d’État: face à l’intensité de la lutte populaire, Videla décide d’exterminer autant d’individus que nécessaire. On parle de 30000 disparus… À la fin du texte, en annexe, on trouve d’ailleurs une série de documents (rapports de police, précisions historiques, etc.) qui réduisent l’écart entre fiction et réalité, entre témoignage et imagination.
Texte violent, ironique, amusant, voire carrément très drôle, et mélancolique aussi (la scène où les circonstances réunissent au Mexique les trois protagonistes relève à la fois de l’absurde, du comique et du désespoir), Papel picado est un roman noir, ultranoir, comme on en fait si bien en Argentine. Il met habilement en perspective deux visions du monde, celle des vainqueurs et des vaincus, des révolutionnaires et de répresseur, deux réalités opposées, minées par l’histoire.
Il y a dans Papel picado beaucoup de Rolo Díez, qui admet avoir écrit un « roman témoignage ». Né en 1940 en Argentine, il a connu lui aussi la prison et l’exil, pour son engagement politique auquel il n’a jamais renoncé. Il a vécu en France, en Italie, en Espagne, avant de se rendre au Mexique, comme ses personnages. La plupart de ses romans évoquent les différentes facettes de l’histoire récente argentine et de la vie sous la dictature militaire.
Auteur culte en France, il a été publié dans la collection Série noire, puis La Noire, et en poche chez Rivages. Il est donc particulièrement étonnant que ce roman, qui a obtenu le Premier Umbriel de la Semana Negra 2003, et qui ne semble pas décevoir ses lecteurs hispanophones, n’ait pas trouvé sa place en France. Il mériterait d’être reproposé à des éditeurs.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
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Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
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