Lecteur: André Gabastou
Poète, romancière et traductrice, née à Barcelone, Clara Janés, auteur reconnu en Espagne, a reçu en 1997 le prix national de traduction. Guardar la casa y cerrar la boca (Tenir la maison et fermer la bouche) est un titre polémique, emprunté à une citation de Fray Luis de León mise en exergue : « Parce que de la même manière que la nature (…) a fait les femmes pour que, enfermées, elles tiennent la maison, elle les a obligées à fermer la bouche ».
Le livre, ayant fait l’objet d’une réédition, rappelle, comme l’a souligné le journal ABC, réputé pour son supplément littéraire, que les femmes ont toujours eu la parole, soit parce qu’elles avaient la possibilité de parler soit parce qu’elles l’avaient conquise de haute lutte. Il n’existe donc pas de continent muet, du moins d’après ce que nous savons au sujet des sociétés disposant de l’écriture. Mais évidemment le corps social a toujours davantage favorisé le silence que la pratique de l’expression.
Si l’essai de Clara Janés appartient incontestablement au courant féministe de la fin du XXe siècle, il est loin de lui être subordonné, tant il s’intéresse aux paradoxes, aux zones d’ombre, aux interstices propres à toute société, moyennant quoi s’il est bel et bien polémique par de nombreux aspects, il n’est pas militant.
L’analyse de Clara Janés, qui brasse divers univers et traverse diverses classes sociales, montre que la femme qui écrit peut occuper une position de pouvoir (au Japon, en Corée) tout en esquivant paradoxalement les hommes et les corps constitués qui ne supportent pas qu’on échappe aux normes prescrites par eux. Ce voyage à travers l’écriture des femmes nous mène de l’Extrême-Orient au monde arabe, puis du Moyen Âge à la Renaissance, plus tard à l’âge dit classique et enfin dans le monde contemporain. Aussi le livre, outre ses analyses, est-il une anthologie d’auteurs soit que l’on ne connaît pas soit qu’il est bon de se remettre en mémoire. Il se décline à partir de deux remarques, l’une de Lacan qui dit que nous n’avons pas de réponse à la question de savoir « ce qu’est un homme et ce qu’est une femme », l’autre du poète syro-libanais Adonis qui a écrit : « La raison est quelque chose que nous partageons tous, c’est ce que nous savons tous (…). Connaître, c’est connaître l’inconnu et le divers. Nous sommes tous égaux sur le plan de la raison, mais différents en ce qui concerne le corps. Cette différence se manifeste dans le rêve, le désir, l’extase, le mouvement, la dynamique ».
En Extrême-Orient, la division des sexes apparaît au sein même de l’écriture qui est à la portée aussi bien des courtisanes que des prêtresses, donnant lieu à deux sortes de pratiques, l’une masculine, l’autre féminine. Il en reste quelques traces peut-être chez les dernières geishas qui savent chanter, danser et écrire de la poésie.
L’évocation de la Grèce s’attarde sur la figure de Sapho qui, plaçant l’amour au-dessus du sexe, annonce Platon.
Après la chute de l’empire romain, l’invasion de l’Occident par les barbares et des combats féroces ayant duré pendant des siècles, la brutalité disparaît progressivement, ce qui entraîne de profondes mutations sociales. La floraison des troubadours dans les cours du Sud de la France est étroitement liée au changement que connaît le sentiment amoureux, influencé par le monde arabe et, à travers celui-ci, par le platonisme.
Les écrits des femmes au cours de la Renaissance et de l’âge classique trouvent souvent refuge dans des couvents qui les ont conservés. Mais les confesseurs et les prêtres qui les incitaient à écrire s’appropriaient leurs textes et les signaient de leur propre nom.
L’écriture des femmes ne fleurit pratiquement jamais en terres innocentes, elle n’est jamais à l’abri des menaces et se transforme presque toujours en machine de guerre, a fortiori aujourd’hui avec les assauts de la religion et des fanatismes qui se déploient en Orient sans empêcher pour autant une poétesse d’écrire :
Viens, une fleur sur ma poitrine peut tous
les matins te rafraîchir avec un éclat de rire.
Si tu ignorais tout de l’amour,
pourquoi as-tu réveillé mon cœur endormi ?
Ma bouche t’appartient, dévore-la, ne crains rien.
Elle n’est pas en sucre et ne risque pas de se dissoudre.
Mon amour, ouvre ma tombe et contemple
la poussière qui recouvre la belle ébriété de mes yeux.
Le livre de Clara Janés mériterait donc une traduction même s’il en existe déjà beaucoup sur le sujet en raison de l’originalité de son érudition.
Thierry Clermont est journaliste au Figaro littéraire depuis 2005. Il a été membre de la commission poésie du Centre national du livre....
SUITE
Diplômé de l'École Normale Supérieure et spécialiste des lettres modernes, de l'espagnol et de l'anglais, Clément Ribes....
SUITE
Catégorie
Bienvenue sur le site de New Spanish Books, un guide des...